Le 10 décembre 2024, jour d’amertume et de vérité:Exposé, à Paris, du député et président de l’ONG IRA Biram Dah Abeid, lors de la table ronde du 10 décembre 2024, relative au thème des Droits humains en République Islamique de Mauritanie

Malgré la propension de l’ex-puissance coloniale, la France, à faire de la Mauritanie, l’élève exemplaire de la coopération entre l’Europe et le Sahel – suivant les standards éthiques du Monde Libre – le pays reste largement gangrené par l’obscurantisme, l’arbitraire, l’ethnicité, le tribalisme ainsi que la déliquescence multidimensionnelle de l’administration publique et de la gestion de l’économie.

L’esclavage et maints anachronismes hérités du Moyen-âge persistent et se reproduisent, sous l’affichage de la citoyenneté. L’école de la République et le droit foncier, notamment rural, prouvent la servitude plus ou moins directe dont souffrent 20% de Mauritaniens, étant entendu que la population totale atteint 5 millions de personnes.

Le cheptel humain, comprend, exclusivement, des autochtones d’ascendance subsaharienne, c’est-à-dire différenciés, par l’origine ethnique et l’histoire, du groupe des anciens maîtres, tous arabes et berbères. Ces derniers perpétuent des lignages féodaux qui, en comparaison de l’ensemble des identités en concurrence, détiennent, encore, malgré leur minorité démographique plus de 90% des leviers du pouvoir de l’Etat, de l’économie, du commandement armé et de l’usage de la religion. La religiosité officielle sert aussi de ferment idéologique à la domination.

Les enfants et petits-enfants de serviteurs, même émancipés par la loi, restent, de facto, dans la posture de mineurs, astreints aux travaux durs et indécents, parfois non-salariés. Beaucoup se plaignent de déscolarisation et s’exposent aux abus sexuels. Parmi eux, une majorité de travailleurs des terres agricoles ne bénéfice de la propriété sur le sol de leurs ancêtres.  En dehors du milieu maure, le phénomène continue à prévaloir, sous des formes symboliques, au sein des sociétés négro-mauritaniennes. Ici, la progéniture des esclaves, désormais traitée en caste, ne saurait prétendre à des fonctions religieuses ni incarner le leadership local.

Hélas, parallèlement à l’inflation des lois édictées et aux conventions ratifiées, l’immunité quotidienne des auteurs de crimes et délits liés à l’infériorité de naissance, demeure la règle. Il en résulte, d’ailleurs, le surpeuplement des prisons civiles, par des milliers Hratine, devenus, dès lors, la principale clientèle des prétoires et des cellules de réclusion. En revanche, dans les geôles de Mauritanie, il ne se rencontre, à ce jour, aucun responsable de pratique de l’esclavage et les coupables de violences sexuelles, parmi les maître et les hommes « bien nés », sur les filles esclaves ou anciennes esclaves, sont systématiquement relaxés et absous par les juges et officiers de police judiciaire. Le paradoxe s’explique, en partie, si l’on considère la mainmise, sur l’appareil d’Etat, des héritiers d’anciens maîtres. La partialité judiciaire des susdits se vérifie au travers de la composition de la magistrature et des forces de sécurité. Le système de prédation et de coercition repose sur des critères de solidarité dans la déformation, l’occultation, voire le blanchiment des infractions. Et tandis que se creuse, de jour en jour, la béance entre la loi et les actes, augmente, au même rythme, la promulgation de normes de pénalisation, malgré leur défaut d’application. La République islamique de Mauritanie est passée maitresse en dissimulation, déformation et contrefaçon, aux fins de se prémunir des critiques internationales. Hélas, des partenaires extérieurs, y compris des démocraties d’Occident, ferment les yeux et continuent de financer les politiques publiques dont découlent le racisme, l’extrémisme religieux et l’impunité des deux. Depuis des décennies, nous n’avons cessé de dénoncer de telles anomalies, en particulier auprès de l’Union européenne, des Etats unis d’Amérique, du Canada, du Japon et d’autres acteurs intéressés au développement du Sud global. Le succès de nos alertes tarde à marquer la réalité.  La Realpolitik et le pragmatisme cynique rendent, notre voix, peu audible, auprès de nos alliés naturels.

En dépit de nos efforts vers la transparence des données numériques et la publication de la vérité, les autorités refusent le principe d’une enquête indépendante sur l’esclavage et les discriminations induites. Les chiffres font peur au pouvoir et affolent les segments conservateurs sur lesquels il s’appuie car leur diffusion démontrerait l’ampleur des injustices et la vulnérabilité morale de leur fondement.

En Mauritanie, la ségrégation selon la race ou la généalogie Mauritanie relève d’une politique décomplexée de l’Etat et des gouvernements depuis 1978, date de l’avènement du régime militaire. Les natifs d’ascendance non-arabophone, qu’ils soient locuteurs du Hassaniya (arabe dialectal) ou des langues africaines), vivent sous la menace concrète de l’ostracisme et de la marginalisation. Les langues Zenaga (berbères), Pulaar, Soninké, Wolof et Bambara, sont systématiquement combattues et en voie d’éradication au profit de l’arabe littéraire. Leur mise en sourdine favorise un ombrageux « nationalisme » anti-noir au cœur duquel enfle la concordance esprit jihadiste et chauvinisme arabophile. La prépondérance du fanatisme, négateur de la diversité culturelle, est le fruit de cette convergence, à l’origine des justifications religieuses de l’esclavage, pendant plus de 10 siècles.

Le nettoyage saisonnier des différents corps civils, paramilitaires et militaires, visant à réduire la présence et le poids des éléments d’ascendance africaine, arrive au terme de son achèvement. Plusieurs officiers supérieurs vont à la retraite, dès la fin de décembre 2024 et, comble de brutalité, aucun noir (Hratine ou négro-mauritanien) n’est en position de pouvoir passer sur le tableau d’avancement pour obtenir le grade de général, lui permettant d’occuper un poste de commandement au sommet de la hiérarchie. La logique d’uniformisation, de compression et de formatage des identités constitue un enjeu de légitimité alternative à la démocratie. Aujourd’hui, en vertu d’une dynamique de rouleau compresseur, les Hratine sont catalogués Arabes, afin de neutraliser le potentiel subversif de leur démographie. Le système d’hégémonie tribale craint, d’abord, que leur revendication d’équité ne croise celle des autres noirs, issus des peuples autochtones de Mauritanie. Cette phobie est justifiée. Je vous confirme, à présent, que mes camarades abolitionnistes et moi, sommes en train de réaliser le cauchemar de nos adversaires, surtout grâce au concours de volontaires Maures, de plus en plus nombreux à rejoindre la lutte pour l’avènement de la République sociale, celle de l’égalité des chances, sous les seuls auspices du mérite.

La discrimination et l’écrasement sont significatifs à l’intérieur des corps des magistrats, des officiers de police judiciaire, des administrateurs territoriaux et du personnel en charge du culte. Personnel quasiment composé d’arabo-berbères, ils incarnent l’assise humaine du statu quo et en assurent la permanence. Nombre de ces fonctionnaires, à l’image des écoles professionnelles qui les ont formés, ignorent, avec superbe et suffisance, les parlers en vigueur dans les régions du Sud du pays. Même les Hratine, pourtant assimilés par leurs maîtres, comprennent rarement et très partiellement l’arabe des livres et de l’éloquence. Bien entendu, ceux-ci, analphabétisme et tracasseries obligent, doivent se battre, à chaque étape de l’enrôlement biométrique, afin d’acquérir la nationalité puis la faculté formelle de voter. Des dizaines de milliers en sont toujours privés ce qui jette le discrédit rétrospectif sur l’honnêteté et la crédibilité des élections en Mauritanie.

Par-delà l’esclavage traditionnel, je dois vous rappeler le sort réservé aux Négro-mauritaniens non hassanophones, après la tentative d’épuration ethnique de 1986-1991. Victimes de spoliations, de tortures, de déportations, de purges administratives, et de tueries de masse, ⁠ils continuent d’endurer les effets de la loi d’amnistie de 1993, qui soustraits, les tortionnaires, à la moindre poursuite devant un tribunal. L’enracinement de l’impunité ne cesse de susciter la récidive banalisée de bavures commises envers les citoyens noirs.

Sous le bouclier de l’enseigne du nationalisme « arabe » local anti-noir alimenté par l’obscurantisme islamiste; ils sont la dénomination locale de l’asservissement. Le pouvoir du moment et ses prédécesseurs se livrent, en réalité, à une entreprise mécanique de pillage des richesses du pays. Il suffit de vérifier, par exemple, la liste annuelle des exonérations fiscales, des licences de pêches, d’extraction minière et d’exploitation du charbon de bois. Les conséquences désastreuses de la déforestation, de la destruction de la faune et de la flore et la disparition du corps des eaux et forêts attestent de la finalité mercantile d’une gouvernance qui privilégie la médiocratie et le nivellement par le bas. 

En conclusion, nous autres partisans d’un dépassement radical face aux dégâts du racisme, renouvelons, cependant, notre disponibilité à envisager des solutions de pédagogie et de consensus, loin de l’esprit de revanche et fort à l’abri du ressentiment mémoriel. Nous voulons la paix, à l’ombre de la justice, parce que nous avons définitivement adopté la non-violence. La paix dans l’iniquité ne nous convient pas et nous ne saurions l’accepter, indéfiniment. Aucun peuple sur terre ne consent à vivre et mourir en état de résignation.

Je vous remercie.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *