Discours émouvant du président Biram Dah Abeid lors de l’African Voice Against Slavery:Les nôtres nous ont asservi !!

Chers collègues, académiciens, chercheurs, activistes, journalistes

Il me réjouit de m’exprimer sur le sol du Royaume Uni, dont le Parlement, après avoir édicté l’Abolition of the Slave Trade Act de 1807, interdira, en 1848, l’avilissement marchand de l’humain et toutes les pratiques associées, sur l’étendue de l’Empire. La Société antiesclavagiste de Londres aura joué un rôle moteur dans le mouvement d’émancipation, poussant alors le gouvernement de sa Majesté à adopter une posture de promotion de l’égalité raciale, auprès d’une majorité de cours d’Europe, encore réticentes à supprimer un alinéa des exceptions héritées : La faculté de posséder son semblable, de le faire travailler hors-salaire, voire de l’offrir et vendre, à titre de bien meuble.

Déjà, à sa mort en 1776, le théologien et lettré peulh Thierno Souleymane Baal réussissait à éradiquer, dans la pratique sociale des deux rives du fleuve Sénégal, le système des castes et d’appropriation d’une personne par une autre. A ce jour, l’évènement reste, de mémoire, la plus ancienne référence à l’obligation de restaurer le droit naturel des gens. Le leader réformiste peulh agissait suivants les principes et prescriptions de la gouvernance licite par le bien. Partout, pas seulement sur le Continent, d’illustres penseurs et défenseurs de la liberté, princes, conseilleurs du sérail, simples témoins ou victimes de l’exploitation en raison de leur infériorité, ont poursuivi l’effort universaliste sur la voie de ce qu’aujourd’hui nous appelons « la citoyenneté ». Le terme consacre l’appartenance à une communauté qui vous reconnaît la qualité d’individu pensant et protège selon la règle de l’équivalence des droits, peu importe le déterminisme de la naissance.

Vous le savez certainement, mon pays, la République islamique de Mauritanie, fut, en 1981, le dernier à emprunter le chemin du salut, bien après le reste de l’humanité. Du retard de l’abolition découle la difficulté de notre combat, entre réclamation de lois strictes, exigence déçue de leur application et risque d’inflation législative face à la réalité de la résistance aux changements. Les gouvernements consécutifs, soient-ils issus d’élections contrefaites ou de putschs, s’obstinent à ralentir, brider ou contenir la satisfaction de nos doléances, en vertu des réflexes de la relativisation et souvent du déni. Pendant notre marche heurtée vers la normalité, nous endurions l’épreuve de la prison en plein désert, sous un plafond de tôle, très ardente, à l’image de notre hargne d’idéalistes contrariés. Nous subissions, aussi, des campagnes de discrédit, de diffamation, de chantage et d’appels au meurtre, à visée jihadiste. Nous étions voués à périr à cause de la vindicte de la rue car notre combat de reconquête de la dignité, représentait, aux yeux de nos détracteurs, une rébellion anti-Islam. Du début de l’esclavage saharien à nos jours, nos tortionnaires et leur progéniture se servent de la foi, pour nous subjuguer. Il est assez ironique de le souligner, aujourd’hui ils prétendent nous libérer et relever, au nom de la même religiosité qui nous valait, de leur part, des siècles de résignation à la barbarie. 

Non content de la reproduction incessante de la tromperie, je pris l’initiative, le 27 avril 2012, d’incinérer, en public et devant une poignée de journalistes, quelques traités de droit musulman où figurent, à l’usage du maître, les règles de gestion de son cheptel humain, c’est-à-dire nous, oui, nous les rejetons de parias serviles. L’acte m’a valu l’arrestation, la molestation, les injures, la détention au secret et des fatwas d’excommunication ou Takfir. J’étais désigné, à la colère des fidèles et devenait, dès lors, l’exutoire sacrificiel à leur indignation. Des associations, des partis politiques, des personnalités de renom réclamaient ma condamnation à la peine capitale. Afin de les préserver du torrent épisodique de haine, j’ai dû placer mes enfants au Sénégal voisin. Bien entendu et comme je le pressentais, la détractation échoua, notamment grâce à la solidarité de nos partenaires dans le Monde libre, beaucoup moins à l’intérieur de la sphère arabo-islamique. Au sein de la Umma, l’on nous reproche d’oser évoquer une infamie endogène à nos sociétés, au lieu de ramener, la question de l’esclavage dans l’histoire, aux seules affres de la traite en direction de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Ce tripatouillage exclusif n’emporte notre adhésion, loin s’en faut !

Non, et nous le disons haut, la servitude de race en Mauritanie procède d’une escroquerie primitive que des coreligionnaires et plus tard concitoyens, exerçaient, sur nos parents, au prétexte de leur diminution innée. Le maître, sûr de lui, nous administrait la preuve de notre atavisme avéré à la défaite, dès le berceau, avant même la bataille de l’existence. A présent que nous enchante et porte la perspective de notre sortie des chaînes de l’oppression, nous ne sommes guère prêts à brader la vérité du racisme tropical. Nous refusons de sacrifier à une lecture galvaudée de la vie qui élude la ténacité des faits, aliène, favorise la complaisance, la censure anesthésiante de l’idéologie et le transfert systématique de culpabilité, sur l’homme blanc caucasien, perpétuel responsable des misères de la terre.

Oui, nos tourmenteurs, les auteurs de notre frustration et de nos surcharges de ressentiment sont de chez nous. Nous naissions, grandissions et mourions en fonction de leurs prédispositions souveraines à nous accorder une faveur, une attention, une indulgence. Leur cruauté à notre endroit ne procédait nullement du capital, ni de la colonisation. Nous voici, du Sahel au Golfe persique, en passant par l’Afrique du Nord, des millions de trépassés et de rescapés d’une tragédie propre à nos traditions, complétement déliée d’une connexion aux besoins de l’industrie ou de l’impérialisme. En Mauritanie, l’esclavage et les mille discriminations qui lui survivent se passent entre indigènes.

Mesdames et messieurs, malgré la mobilisation des moyens de l’Etat aux fins de nous acheter et affaiblir, l’acharnement des procureurs soumis à la subjectivité de l’Exécutif, la persécutions de nos militants et, surtout, notre privation des opportunités de création de richesses, nous n’avons cessé de raffermir notre élan de progrès. Certes, la suprématie de nos anciens maîtres cloisonne l’économie, l’administration de l’Etat, la propriété du sol, le commandement militaire et la religion. Or, en dépit de tant de traverses, beaucoup Mauritaniens, y compris ceux nés de l’autre côté de la barrière mentale, nous rejoignent et propagent la bonne nouvelle de l’égalité en marche. Fort du constat, j’ai décidé, à partir de 2014, de me porter, par trois fois, candidat à la présidence de la République. Si l’on devait cautionner les chiffres de l’instance d’organisation du vote sous l’égide du gouvernement, je passais, du score inaugural de 8%, à 18.58 % en 2019 et 22,10 % au mois de juin 2024. Que ce soit bien compris, l’ascension en cours ne connaîtra de trêve qu’aux prémices de son aboutissement, en l’occurrence l’accession, à la haute magistrature, d’un Hartani, petit-fils ou arrière-petit fils d’esclave. Nous affichons l’objectif et y consentons nos réserves d’optimisme et de vitalité.

Oui, nous avons appris combien l’âpre quête de l’égalité nous impose – ce n’est pas un choix ni d’ailleurs une option – le devoir de conquérir le pouvoir d’Etat, en vue de devenir les acteurs autorégulés de notre rédemption. Nous ne quémandons plus l’aumône parcimonieuse de la République islamique de Mauritanie et n’escomptons, de ses jurisconsultes figés dans le Moyen-âge, les clauses de notre libération. Nous n’espérons davantage la pitié de ses imams, encore moins la magnanimité de sa police. Désormais, le verdict des urnes recèle notre certitude en la victoire de la pédagogie sur l’aveuglement, de la discussion au-dessus du ressentiment et de la non-violence envers et contre la tentation de la revanche. Privé de réaliser ses rêves d’autodétermination, les Hratine, mon peuple nombreux, souffrent de maladies d’un autre âge, de marginalisation, d’illettrisme, de stigmatisation matrimoniale et doivent, leur pain quotidien, aux contraintes du travail indécent. Leurs enfants, quand ils réchappent des infections et de la malnutrition, parviennent vite et mal à l’âge adulte, au milieu des quartiers précaires, exposés à la délinquance. Le défaut d’accès, par les Hratin, à la superstructure intellectuelle et morale du système les maintient coincés dans la boucle temporelle d’une promesse d’accomplissement, toujours différée. A présent, leurs attente et crédulité s’amenuisent. J’encourage l’impatience de l’ici-maintenant et ne veut plus entendre parler de laisser le temps au temps. L’injonction de l’équité est un appel comminatoire de la conscience, lequel s’accommode peu de l’hésitation, de l’édulcoration et de la demi-mesure sans lendemain.

L’esclavage sévit en Mauritanie sous sa forme ancestrale. Les codes qui en régulaient la pratique sous les sultanats de l’Arabie, de l’Afrique du Nord et de l’Ouest prévalent, de facto, chez nous. Les acteurs internationaux – Nations unies, Union européenne (Ue), Union africaine (Ua), Ligue arabe (La), Organisation du traité de l’atlantique nord (Otan) et quantité d’autres instances multilatérales n’ignorent rien de l’infamie que je décris. Il convient d’imputer, aux partenaires étrangers, un degré élevé de connivence avec l’hégémonie ethno-tribale qui génère, parmi les miens, un tel exploit d’injustice. Face aux officiels Mauritaniens, les Occidentaux, cyniques et lâches, se suffisent des normes de pénalisation et des « séminaires de sensibilisation et de renforcement des capacités », pire ils les financent, en vain. Ils entérinent l’affichage et la ruse, au détriment du concret. C’est cette conspiration de gouvernements et de parlements démocratiques, avec la tyrannie du faire-semblant, que je dénonce. Ici, les Etats – de l’hémisphère nord en particulier – trahissent leurs valeurs, pour des motifs irrationnels. La Mauritanie est une contrée sans pétrole et dénuée d’armes de destruction massive. Pourquoi lui concéder la licence exotique de continuer à se moquer du monde et le défier ?!

Honorable assistance, je souhaite vous rassurer. Aidez-nous à lever les restrictions à l’enrôlement biométrique sur le registre de l’état-civil. Nous voulons remplir les listes électorales, de milliers de primo-votants et d’autres majeurs jusque-là évincés du droit légitime d’exprimer leurs suffrages, en toutes conviction, autonomie et transparence. La démocratie véritable nous sauvera. Au travers de la règle un homme-une voix, nous misons notre entrée résolue et définitive dans le siècle. Nul, dorénavant, ne nous détournera du noble dessein.

Chers auditeurs, honorable invités, permettez-moi, je vous prie, de citer, en conclusion à mon laïus, le secrétaire posthume de notre rencontre, ce jour, à Londres. Le dramaturge, politicien et résistant tchèque Vaclav Havel, avertissait, de son vivant, dans les Méditations d’été : « Les droits de l’homme et les droits civiques universels ne seront respectés qu’à une condition. Il faudra que l’homme se rende compte qu’il est “responsable pour le monde entier”.

Je vous remercie !

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