Retour sur les événements de Rkiz : Lettre ouverte au Monsieur Mohamed Ould El-Ghazaouani, Président de la République Islamique de Mauritanie
Monsieur le Président de la République,
C’est avec la plus grande attention et beaucoup d’inquiétude que nous avons suivi les événements qui se sont déroulés à Rkiz au début de ce mois. Aujourd’hui, les Haratin, paysans de Rkiz ayant finalement obtenu 26 hectares de terres arables sur les 106 hectares qui devaient être distribués, le calme est revenu mais les défenseurs des droits humains que nous sommes ne peuvent rester silencieux face à ce qui s’est passé à Rkiz. C’est la raison pour laquelle nous nous adressons à vous aujourd’hui, Monsieur le Président de la République.
Les évènements de Rkiz ne sont pas les problèmes inévitables d’une réforme agraire mal acceptée mais ils font apparaître dans sa réalité la survivance d’une société féodale de propriétaires terriens soutenus par l’État, qui ne cultivent pas la terre, face à ceux qui la travaillent depuis toujours, descendants d’esclaves, hommes et femmes libres aujourd’hui mais encore traités comme esclaves. Pour les propriétaires de domaines toute possibilité d’achat est une opportunité à saisir car elle permettra la location à des sociétés pratiquant une agriculture industrielle.
Nous avons soutenu avec les membres d’IRA, la lutte des paysans de Rkiz contre l’injustice qui leur était faite lors de l’attribution de seulement 12 hectares sur plus d’une centaine. La Mauritanie s’est dotée de lois concernant la propriété terrienne, en particulier la loi 44-2000 portant code pastoral, l’article 1 de l’ordonnance 2OO0-89 qui stipule que : « La terre appartient à la nation, tout Mauritanien, sans discrimination d’aucune sorte peut, en se conformant à la loi, en devenir propriétaire pour partie ». « Le système de la tenue foncière traditionnelle est aboli, ceux qui ont travaillé la terre peuvent accéder à la propriété et acquérir leur indépendance économique, base de toute émancipation créée ». Ces hommes et ces femmes qui défendaient les terres qu’ils cultivent étaient dans leurs pleins droits.
Nous avons condamné l’usage disproportionné de la force devant des manifestants pacifiques.
Leurs droits fondamentaux ont été bafoués : droit de s’exprimer, droit de manifester.
Nous dénonçons la violence et les brutalités dont certains ont été victimes, nous dénonçons le rôle de la police qui a interdit ou gêné l’accès aux soins des blessés les plus graves, nous dénonçons des mises en garde à vue qui ont duré beaucoup plus que la durée légale de 48 heures renouvelable une fois, nous dénonçons les insultes, les sévices corporels, la privation de nourriture et les actes de cruauté gratuits comme l’interdiction faite à une jeune maman de nourrir son bébé.
Nous avons déploré le rôle des représentants du pouvoir et des dignitaires tribaux qui ont tenté de diviser, de corrompre, de démoraliser ces descendants d’esclaves afin de faire taire leurs justes revendications d’hommes et de femmes libres devant la spoliation de leurs biens.
La paix sociale et l’entente entre les communautés ont été constamment mises à mal, Monsieur Biram Dah Abeid, venu défendre les droits de ces personnes, a été constamment pris à partie avec la plus extrême virulence jusqu’à recevoir des menaces de mort par l’un des chefs de tribu. A ce jour, ce député a perdu son immunité parlementaire par une décision de justice d’une extrême rapidité à la demande d’un parti politique sous des accusation s de diffamation.
Nous avons constaté, tout au long de ces événements, que les lois avaient été constamment bafouées. Les manifestants de Rkiz et ceux qui les soutenaient, les membres d’IRA en particulier, ne demandaient que l’application de la loi dans le respect de la constitution. On a pu constater que pendant ces événements la constitution de la Mauritanie a été foulée aux pieds, les lois piétinées par ceux-là même qui avaient la charge de les faire respecter.
Monsieur le Président de la République, nous nous adressons à vous car vous êtes le gardien de la constitution et nous vous demandons instamment de veiller à l’exécution des lois en tous lieux.
Les Haratin de Rkiz, pour garder les terres auxquelles ils avaient droit, ont dû affronter une société féodale de propriétaires terriens soutenus par l’Etat et déjà en affaire avec des entreprises d’agriculture industrielle qui convoitaient les hectares libérés. Par leur courage et leur détermination ils méritent notre respect.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.
Pour le bureau d’IRA France-Mauritanie :
Roseline Ughetto / Présidente d’honneur
Marseille, le 22/02/2024