Conférence de presse du député et président Biram Dah Abeid,
Nouakchott, le 19 juin 2020
- Comme docteur Martin Luther King, nous n’acceptons pas de nominations à des postes officiels ou semi, qui nous éloigneront d’une lutte inachevée. D’autres aînés ont expérimenté ce chemin sans lendemain avant moi.
- Nous n’avons connaissance d’une seule condamnation d’arabo-berbères auteurs des crimes de génocide, d’esclavage ou de viol contre les populations d’ascendance noire africaine, tels les bambara, wolof, soninké, pulaarophones, les hratin et immigrés subsahariens…
- A l’exemple des afro-américains pendant les décennies antérieures à la conquête des droits civiques, nous sommes privés de l’enrôlement électoral, donc de la faculté de voter ; à ce titre, les nôtres sont empêchés de s’organiser comme le démontre l’interdiction des mouvements capables de vaincre l’hégémonie ethno-tribale, dans les urnes. Je citerai, ici, Ira-M, le Rag, les Fpc…
- La privation foncière frappe les noirs de plein fouet, souvent par la spoliation de leurs terres de culture et espace de pâture, au profit d’autres mauritaniens privilégiés, des multinationales de l’agrobusiness et des vendeurs de charbon de bois. Arrachés au sol nourricier dont la qualité se dégrade, ils s’exilent vers les villes et en deviennent le prolétariat corvéable, à vie.
- Cette discrimination d’Etat exacerbée qu’ont vécu les Usa après la fin de l’esclavage, se manifeste de nos jours en Mauritanie ; l’exclusion des afro-Mauritaniens du personnel civil et militaire de l’Etat en est la manifestation la plus courante…Le processus a été entamé au début des années 1980 et atteint son achèvement aujourd’hui, tant et si bien que les nominations monochromes se banalisent.
- Nos mouvements non-violents et légalistes sont accusés de racisme et de violence par le bloc conservateur où se retrouvent le pouvoir, des syndicats, des corporations d’imams, de blogueurs, de journalistes, d’hommes d’affaires, de dignitaires tribaux, etc. Le matraquage de l’opinion sous les discours de haine et de diabolisation des courants abolitionnistes, enracine, dans la société, le mépris du nègre, que la culture enseigne et reproduit, parfois sous couvert de religiosité. Ainsi, sommes-nous accusés de vouloir abâtardir l’univers arabo-musulman, d’en adultérer la pureté et la singularité.
- Dans le but de mieux nous retarder, distraire et contenir, des organisations prétendument progressistes, des pseudo défenseurs des droits de la personne, issus de milieux afro-mauritaniens, se retrouvent en demeure de nous critiquer au bénéfice du système. Beaucoup sont maintenus aux confins du stress alimentaire qui les expose à la compromission. Plus l’édifice des inégalités vacille, davantage leur nombre augmente et se dévalue.
- Le même procédé de diversion-détournement touche la communauté de lutte contre l’oppression de la femme ; l’on se souvient que de tels montages ont été réalisés pour détruire la réputation des pionniers des droits civiques aux Usa. A titre d’illustration, il convient de mentionner l’invention et la contrefaçon de 35 viols de femmes maures, dans la ville de Bassiknou en ce début du mois de juin 2020. Cette forme de propagande sensationnelle et vindicative, a été utilisée par le KKK(le groupe suprémaciste blanc le plus violent de l’histoire de l’Amérique) durant les années 50 et 60 ; elle visait à obtenir le discrédit et la défiance envers le combat des afro-américains; la méthode commence à prendre forme et favorise l’éclosion des premiers embryons du KKK en Mauritanie.
- La police de l’Etat mauritanien agit dans le sens de conforter et de rassurer les ultra-racistes arabo-berbères, en faisant régner la terreur au cours des marches pacifiques de Ira-M; il suffit d’observer les scènes de molestation et de torture, infligées aux militantes et militants, notamment l’acharnement symbolique sur les femmes. Les forces de l’ordre inique nous traitent en ennemi, lors d’une guerre, alors que nous sommes désarmés. A l’image du suprémacisme blanc aux Usa, la police agit en gardienne de la domination.
- l’Etat est le premier concepteur et producteur de violence -symbolique et physique – à l’endroit des afro-mauritaniens, quand il institue, de facto et selon ses normes, l’ostracisme et le bannissement des mouvements porteurs de la parole d’émancipation raciale, offre l’impunité automatique aux criminels d’esclavage avec le maintien de la loi d’amnistie de 1993, résume le message adressé aux “bons citoyens”, en somme les mauritaniens de naissance convenable : « nous, l’Etat, vous protégeons de la justice et de l’étranger ».
Voici, en somme, le diagnostic que je me suis toujours fais de la situation de la gouvernance raciale en Mauritanie ; il s’agit du verrou principal qui plombe la citoyenneté, la cohabitation, la démocratie, le développement et surtout la paix bâtie sur un fondement sain.
Après la proclamation plus que discutable d’une prétendue victoire dans les urnes, le Président Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, recevait le pouvoir, de son prédécesseur, nuitamment, du 22 au 23 juin 2019 ; en trois jours, de concertation avec ses proches conseillers et certains de mes amis proches, j’ai cru devoir désamorcer la situation explosive du moment. Notre franchise et sincérité ainsi que l’amour du pays, attendu de tout mauritanien de bonne foi, devraient inciter le nouveau Chef de l’Etat à comprendre que l’époque devient gourmande en démocratie, droits de l’individu, aspiration à la dignité humaine, y compris pour les noirs. Le 21ème siècle consacre la libération irréversible du descendant d’africain subsaharien. Il est bien temps d’en prendre conscience, en Mauritanie, sous peine de rater le rendez-vous de l’histoire et se retrouver anonyme parmi les vaincus !
Aussi, j’espère qu’avant la fin de sa première année de mandat, le Président de la république va se ressaisir et permettre, à la majorité des mauritaniens, de se sentir fiers de vivre sur une terre des justes.
Nouakchott, 20 juin 2020
Nouakchott, le 19 juin 2020