Droit de réponse au magazine « Jeune Afrique » Biram Dah ABEID

Le 2 décembre, devant la presse, dans la ville de Tichit aux confins du désert, le Président mauritanien s’en prenait aux activistes de la lutte contre l’esclavage et ses séquelles, non sans désigner ma modeste personne ; d’après lui, nous serions des affabulateurs, en mal de salaire, donc mus par la seule motivation du ventre. Plutôt que de prolonger une vieille polémique avec les pouvoirs mauritaniens et leur inclination au déni, je préfère retenir, du propos de Mohamed Ould Abdel Aziz, une phrase révélatrice de la fidélité de l’homme aux intérêts historiques de son groupe, le monde des maîtres: « Nous agissons avec l’esclavage comme pour le vol ou le terrorisme : nous avons des textes pour combattre ces délits et ces crimes, mais ils continuent à être commis et nous améliorons nos lois en conséquence chaque fois que nous le pouvons ».Faut-il rappeler, à l’auteur, qu’en vertu de la législation de notre pays, l’esclavage relève d’une catégorie imprescriptible, le « crime contre l’humanité ». Ainsi, cette tentative de relativisation comparée, marque-t-elle le désir de banaliser l’héritage de siècles d’oppression par une ethnie, sous couvert de religion. Au demeurant, sur la récente vente de personnes dans une pétaudière du Maghreb, Ould Abdel Aziz, recourt, à l’inversion habituelle de la culpabilité : « Il n’y a plus d’État en Libye et c’est la faute de l’Occident, qui a bombardé le pays et contribué à l’assassinat de son président». Bon, admettons un instant d’accorder crédit aux raccourcis commodes, à quel bouc-émissaire devrait-on imputer la persistance de l’esclavage chez nous ? Au complot sioniste ? A la Colonisation française ? Aux Francs-maçons, aux illuminati, à l’éternel impérialisme ?

Non, hélas, les noirs mauritaniens, depuis des temps immémoriaux, naissaient et mourraient, sans rien connaitre de la vie, que la condition de serviteur docile, vendable, légué et corvéable à merci. Au moins, le Président mauritanien ne congédie cet aspect incontesté de notre mémoire et je lui en reconnais le mérite.

Au détour d’une autre citation, le Chef de l’Etat mauritanien, identifie le sort des descendants d’esclaves, à celui des Afro-américains, non sans les qualifier  de « minorité ». Le choix du terme justifie le reste du propos. Là, encore, Mohamed Ould Abdel Aziz lance un message aux siens, la communauté arabo-berbère où grandissent, pourtant, des attitudes de solidarité admirable avec les victimes du racialiste et de l’exclusion: il leur adresse un avertissement, autant qu’il les incite à l’esprit de corps, autour de lui. La légèreté de l’assertion trouve, dans l’animation de nos rues, un démenti sans appel. L’observateur, même distrait, sait combien la démographie de la Mauritanie consacre une majorité – exponentielle – de Noirs dont leur concours à l’exercice du pouvoir, de l’économie globale, de la banque, de la fonction publique, du commandement des forces armées et de sécurité et du magistère religieux n’atteint 5%. Peu importe le refus, par les juges, de traiter les dizaines de cas en instance d’instruction ou d’anéantir les plaintes d’un revers de non-lieu, les fils et petits –fils d’esclaves endurent des discriminations et une inégalité que seule leur naissance explique. Cette différence de destin justifie notre acharnement à la lutte.

Au lieu de s’emmurer dans le repli défensif, devant une cause fatalement désignée à la victoire, Mohamed Ould Abdel Aziz devrait nous tendre la main, pour reconstruire, ensemble, la Mauritanie trait d’union des deux Afriques, sur une base saine. L’extrémisme religieux, favorisé par ses propres atermoiements et son laxisme, menace de transformer le pays en base arrière du Jihad sahélo-saharien. Bientôt au terme de deux mandats d’une gouvernance de l’imprudence et du risque, notre Président, fourbu a besoin de consensus, point de rallonger la liste déjà profuse de ses ennemis.

Paris le 05/12/2017

Biram Dah ABEID

Président de l’Initiative de Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA – Mauritanie)

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