Entretien réalisé par Adama Guène (Observateur de la société civile, Jeune ambassadeur de l’Union africaine pour la justice transitionnelle, Dakar).
Entretien réalisé par Adama Guène (Observateur de la société civile, Jeune ambassadeur de l’Union africaine pour la justice transitionnelle, Dakar).
Monsieur, Abdel Nasser Ethmane Elyessa, alias Jemal Ould Yessa, je vais vous poser beaucoup de questions, au risque de vous bousculer. Est-ce que vous consentez ?
Oui, bien sûr, avancez, foin d’autocensure !
Tout d’abord, on ne vous connait pas d’abonnements aux réseaux sociaux, sur la toile vous ne laissez pas de trace audio ou vidéo, à partir de 2009. A part l’écrit parcimonieux, vous êtes plutôt discret. De la part de quelqu’un qui exerce la politique depuis longtemps, c’est curieux, non ?
Vous avez sans doute raison de noter l’apparente contradiction mais le défaut de visibilité corrobore aussi une hygiène de vie. Donc, je ne suis pas près de renoncer au luxe de l’invisibilité.
Vous intervenez rarement dans le débat mauritanien, souvent avec une certaine virulence concernant des sujets de société comme le « passif humanitaire », l’écologie, la laïcité, le féminisme, etc. A la veille de l’élection du Président de la République en 2024, sur quel candidat se porte votre choix ?
Tout d’abord, afin de prévenir le malentendu, je vous réponds, à titre individuel. La direction de campagne du candidat le représente mieux.
Je soutiens le porte-voix de la rupture, Biram Dah Abeid et favorise son avènement à la Présidence de la République. L’instant est venu, depuis longtemps, de rompre la fatalité du Chef d’Etat arabo-berbère et militaire. Les histoires longues ont une fin et celle-ci, en sus d’avoir déçu et provoqué l’affliction et le deuil, devient un germe de discorde et de ruine. Il faut tourner la page, au prix d’un dégât moindre. A présent, la cohésion de la Mauritanie exige l’alternance historique. Nous avons besoin d’un meneur de réformes, d’extraction noire subsaharienne, pour nous guérir du cumul des ressentiments, nous préserver des pièges de la récidive, rendre justice à la loi du nombre, libérer les énergies, valoriser le travail manuel et éradiquer les privilèges de la généalogie. Biram Dah Abeid a payé, en prison et mainte fois, l’amère rançon d’une œuvre vouée à éteindre(le) statu quo et purger l’héritage de l’esclavage et de l’humiliation. Son aversion au racisme institutionnalisé explique notre convergence. La concordance procède, surtout, de la passion de l’égalité que résume l’article premier de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».
Ce que vous citez, là, ne parle pas trop aux Mauritaniens. Ce qui vient de la France a-t-il bonne presse en Afrique ?
Me reprocheriez-vous la référence à la Révolution française ? Je vous objecterai un aveu : Rien de ce qui m’a mené à la quête de liberté et de foi en l’espèce des humains ne provient de ma culture autochtone, plutôt réservoir de préjugés de race et de prime à l’arbitraire. Exceptés l’honneur, la chevalerie, la générosité et le pardon qui ne sont pas précisément des valeurs de progrès, l’héroïsme belliqueux et les ruses de l’Invisible constituent l’essence même du legs de nos ancêtres. L’addition des deux contrarie le combat sur le chemin de l’affranchissement de l’individu, acteur et finalité de l’intérêt général. Rendons-nous à l’évidence, afin que prévale la paix, à l’ombre du droit naturel, il nous appartient de couper, enfin, le cordon ombilical qui nous enchaîne au passé. Du reste, je m’assume francophone et francophile de gauche, naturellement pas de la gauche misérabiliste où l’on érige l’esthétique de la pauvreté en attestation de pertinence. N’en déplaise à la meute du panafricanisme de l’aigreur, nos problèmes, en Mauritanie, ne résultent d’un rapport de belligérance avec l’Occident et l’impérialisme. Chez nous, nous récusons des pesanteurs et des iniquités endogènes, qui remontent à notre histoire d’avant la colonisation. Hier et aujourd’hui, ce sont nos congénères qui nous oppriment, mentent et volent. Sans la pression de la communauté internationale, ils nous écraseraient allègrement.
Vu vos origines, on pourrait vous accuser de démagogie, de populisme quand vous défendez la veuve et l’orphelin ?
Soyons sérieux ! Je n’ai pas grandi dans la curiosité du commandement ou le désir de la notoriété. L’éducation traditionnelle les considérait, déjà, motifs d’inconfort et de restriction. Dedans, il n’y a pas d’agrément enviable. Qui y échappe s’estimera chanceux. Nul ne doit être réduit à la fortuité de sa naissance, d’où notre résolution à démentir les déterminismes du berceau. Nous ne cédons à la surenchère, la réalité des inégalités et du pillage en Mauritanie suffit à valider nos griefs. Malgré la rigueur du constat précité, je reste rétif à la démagogie et ne me sens en sûreté au milieu des vociférations de la foule. Si le peuple en mouvement touche au sublime lorsqu’il abat la tyrannie, sa fureur et son enthousiasme du lendemain recèlent une formidable charge de destruction et d’homicide. A l’heure de la désinformation, l’instinct grégaire de la multitude justifie la vigilance et un excédent de veille. L’irresponsabilité et l’ivresse noyées dans le tumulte d’une masse sans visage entraînent souvent la débâcle de l’esprit critique et le triomphe de l’animalité. L’histoire de l’humanité charrie de tels charniers, par millions. Je ne suis de ceux auprès desquels l’intolérance légitime à l’autocratie autorise une réaction de nihilisme.
Pourquoi le choix de Biram Dah Abeid ? D’autres candidats de l’Opposition sont en lice.
Et pourquoi pas lui ? Des 5 candidats de l’opposition, d’ailleurs nos alliés, Biram, d’emblée, est le plus disposé à renverser la table, secouer le tapis, bref oser le coup de balai téméraire qui nous réconcilierait avec la normalité. Ici, il y a lieu de comprendre, par normalité, la rationalité du mérite, comme fondement universel du prestige et de la récompense. Il n’est plus décent de continuer à entériner, dans l’indifférence et la banalité, la promotion permanente des filles et fils de grande et moyenne tente-case, toute communauté confondue, au prétexte de leur patronyme. L’élégance et la prudence commandent, aux ci-devant, de s’effacer un peu, même provisoirement, afin d’encourager l’expérimentation d’une formule alternative, dont découlerait une chance de réaliser mieux. Nous devons tarir les micro-persécutions qui jalonnent le quotidien des cadets sociaux, défaire la trame de passe-droits et d’usurpations qui nuisent toujours aux mêmes. Il s’agit d’une prise de risque raisonnable, au regard des échecs de la gouvernance, depuis l’éviction du régime civil en 1978. Dites-le au Président sortant, les aristocraties rances et faisandées ont vécu, elles n’incarnent plus que l’imposture d’une popularité factice. Quiconque continue à leur conférer de la considération n’a pas compris les impératifs du siècle. La conservation de la gent parasite ralentit notre marche vers la répartition équitable de l’effort et du rendement.
La campagne du Président Ghazouani met en avant la présence de personnalités Haratine, Hal pulaar, Soninké, Wolof. Ce n’est pas un démenti aux présumées discriminations que vos camarades et vous dénoncez ?
La solution ne réside pas dans l’affichage d’un personnel-alibi que l’on convoque, en vue d’inverser l’invraisemblance : « regardez, nous ne sommes pas racistes, nous associons tout le monde ». La figuration ne fait le film. Dans la quasi-totalité des domaines de la production de richesse et de l’exercice de l’autorité d’Etat, le noir mauritanien survit aux marges du système de prédation. Le capital privé national étant de causalité politico-administrative, vous constaterez la mainmise des tribus maures sur les douanes, la banque, l’agriculture, les mines, la pêche, le commerce d’importation, le commandement militaire et de sécurité, le récit collectif et même la religion…Le plafond de verre impose, aux Mauritaniens subsahariens et natifs des castes, l’acceptation d’une infériorité indue. Nous cherchons à le briser.
Quelles sont selon vous les qualités du Président Ghazouani ?
Je ne connais pas vraiment le Président sortant. A s’en tenir aux dires concordants de ceux qu’il reçoit, l’aptitude au consensus l’habite et façonne son tempérament. La vox populi le répute peu enclin à l’avidité matérielle, affable, à l’écoute et profondément réfractaire à la violence. Il n’hésite à rendre service aux anonymes et, je puis en témoigner, ne leur réclame de contrepartie. Le culte de la personnalité le dérange mais il le supporte, par courtoisie envers le laudateur. Il fuit le scandale davantage qu’il n’incline à la réparation résolue des erreurs et fautes de sa cour. C’est ici que les qualités de l’homme se confondent à ses failles. Nous en traînons, tous.
…et ses défauts ?
Hélas, il exagère le souci de contenter son prochain, d’où un laxisme et une complaisance qui vont le (nous) perdre. Il avalise le recyclage à tout-va, tolère une gredinerie autour de lui puis en congédie l’auteur, ponctuellement disgracié. Au bout de quelques mois d’oubli, le temps de se fondre dans l’amnésie collective, voici le délinquant de retour, promu à l’occasion d’une série de « mesures individuelles », selon le jargon de clôture des réunions du Conseil des ministres. A parcourir ces répétitions hebdomadaires de l’opprobre, l’on s’interroge si la Mauritanie compte des compétences en dehors des Maures. Pire, l’attitude de conciliation mécanique que le Président adopte en modèle de direction des affaires de la cité finit par discréditer l’éthique et diffamer l’équité, au nom de laquelle son parti (Insaf) prétend gouverner. Aujourd’hui, la corruption et le laisser-faire n’importe quoi ont atteint des abîmes vertigineux et pas un indicateur prédictif n’augure la perspective de les réfréner, sous le pouvoir du moment. Consultez, je vous prie, la composition des donateurs de la campagne du Président, au titre du patronat. La liste des 12 capitaines d’industrie vous confirmera quel groupe ethnique confisque l’économie de la Mauritanie. L’on dirait un catalogue des revenants du Prds. Inconscience ou mépris, ils ont eu l’outrecuidance de diffuser, fièrement, l’écrit qui les accable.
J’ai lu une de vos phrases fétiches, qu’est-ce que vous appelez « faillite du système » ?
Les exemples de reconversion des médiocres et des cuistres à barbe, d’impéritie sans complexe, de surfacturation de chantiers, de détournement des marchés publics, de rétrocommissions et surtout leur impunité pourraient alimenter des mois de témoignages devant une instance d’audit. Je vous épargne les suspicions de blanchiment massif dans les secteurs du bâtiment, du commerce et du transfert de monnaie. Certains de nos diplomates recrutent auprès d’eux des parents proches, d’aucuns savent à peine lire une déclaration, d’autres doivent le poste à une maladie, l’armée règle ses dépenses en sacs bourrés de liquidités, les généraux s’arrogent le partage exclusif, entre leurs parentèles respectives, des bourses de formation d’élèves-officiers, à l’étranger… Le roman de l’entreprise de rapine comporte assez de rebonds et de ricochets pour enrichir, bien au-dessus des capacités de l’intelligence artificielle, l’imaginaire des scénaristes de tragicomédie. L’échec du premier mandat est attesté, reconnaissons-le. Le second ne dérogerait à la leçon empirique du précédent. J’ai écouté le discours du Président de la République, dans la nuit du 14 au 15 juin courant. Il promet de sévir au détriment des concussionnaires et des prévaricateurs, agglutinés, ce soir-là, à sa proximité. Les susdits ont applaudi. La minute d’après, ils arboraient un maintien réjoui. Bien jobard qui les suspecterait de naïveté.
Peut-être que le Président Ghazouani est victime des siens, le cas ne serait pas extraordinaire, ça s’est vu ailleurs ?
Il me semble présomptueux de blâmer, toujours, l’entourage du Prince et d’exonérer celui-ci. En l’occurrence, le Président, désigne ses collaborateurs et sait l’amplitude de leurs travers. Le Chef de l’Etat, vous pouvez me croire, ne méconnait la banqueroute présente, ni le détail des mesquineries, du trafic de prérogatives, de l’enrichissement illicite, des conflits d’intérêt et de l’incurie de l’appareil de gouvernement et de la haute administration. Il ne saurait plaider l’ignorance de bonne foi. Mal secondé, il lui arrive de résoudre des litiges périphériques, régler des détails, lever des blocages, corriger des négligences, réparer une déficience du service public, arbitrer dans le vide. Autour de lui, en dépit de ses propres décisions, la mauvaise volonté tient lieu de conduite. La plupart des responsables auxquels il délègue ne suivent ses directives que s’ils en tirent un profit privé. A force de bienveillance, de placidité et d’investissement sur l’horizon lointain, il s’est enlisé dans l’impuissance d’endiguer la vitesse du pourrissement en cours. Qui va-t-il admonester ? Ses subordonnés laissent l’impression, nette, de ne pas craindre leur chef. Bien entendu, ils ne sont pas tous mauvais ou lacunaires. Disons que le respect de l’autorité présidentielle et le zèle à la redevabilité ne les singularisent. Observez la cacophonie de la cérémonie d’ouverture de campagne de l’Insaf au stade olympique de Nouakchott, les fautes de syntaxe sur les affiches, en Arabe et Français, l’orateur assoiffé qui réclame un peu d’eau, le Premier ministre se désaltérant au goulot parce qu’il ne trouvait pas de verre. Dès le début de l’oraison du Président, une partie du public commença à se retirer. Une fois rémunérés, les rabatteurs de badauds et leur bétail de circonstance se dispersaient. La scène se renouvela lors du rassemblement nocturne des jeunes. C’est ainsi que l’élite de l’instant dirige la Mauritanie, en dilettante. Pourtant, en 2022, deux ans après son élection, le Président bénéficiait du plébiscite, inédit, de l’opinion et des politiciens. Je suis tenté de conclure à un gâchis irrattrapable.
Vous ne ressentez pas la lassitude de ressasser d’invariables critiques et revendications ? La politique c’est aussi le pragmatisme et la volonté de construire, non ?
En politique, au sens noble du métier, deux postures s’offrent au militant : Soit il compose et se dilue, dans l’espoir – prétentieux – de changer le système de l’intérieur, soit il enfourche la dissidence, à l’image de l’insurgé, réitère l’assaut et garde patience. A équidistance, s’ouvre le troisième choix, en somme la souplesse contextuelle, une combinaison de lucidité tactique et de certitude chevillée au corps. Les modalités qui articulent les deux dernières options se manifestent ainsi, la première étant disqualifiée, à nos yeux :
1. Sous un règne de brutalité que caractérisent le recours à la contrainte des corps, la torture et l’attentat à la vie des innocents – quand bien même la vertu ornerait la gestion du bien public – aucune agressivité, pas une subversion ne doit être évitée au despote. Le plus sacré des devoirs de l’existence en société dicte de précipiter sa chute, peu importent l’intrigue à ourdir et ses outils. Aussi, le Chef fautif sera-t-il vitupéré, au travers de sa famille, de sa tribu, de ses prétoriens et combattu avec une ardeur d’autant moins économe qu’il aura commis et couvert des crimes de sang en proportion significative. Si sa nuisance vise une ethnie, le motif aggravant requiert le déversement d’un surplus de férocité à ses dépens. La Mauritanie est sortie du cas paroxystique, en 2005.
2. En revanche, sous une coterie de prédation tribale et de fraude qui consent, à ses détracteurs, un espace d’expression et les exempte de la privation de déplacement, la compétition partisane abrite une marge de compromis. Ici, la divergence respectera les standards de la bienséance et de la retenue, à la condition de ne jamais occulter les méfaits de la gestion néo-patrimoniale et du népotisme. La détente qui éluderait le préalable de la transparence, expose, l’opposant, à trahir sa vocation de redresseur de tort et le frotte, dès lors, aux rugosités du réalisme. Le pragmatisme n’est pas le conseiller idoine des ambitieux, encore moins l’orient des justes. La situation du jour en Mauritanie correspond au substrat que je viens de décrire. Autrement dit, quel que soit le verdict des urnes au lendemain du 29 juin 2024, les protagonistes potentiels de la crise à venir gagneraient à prévenir l’impasse. Compte tenu de la fragilité de notre voisinage immédiat et des désordres de la planète, le vainqueur et le vaincu authentiques sont tenus de ne pas exclure la formation d’un gouvernement d’union. La clairvoyance les appelle à cosigner un pacte d’apaisement. Aucun n’a intérêt à piétiner l’autre. Leur jeu à somme nulle anéantirait le pays. Au demeurant, la menace ne viendra de notre camp. Nous ne sommes des pyromanes et ne détenons les instruments de la coercition.
Qu’est-ce que vous craignez et à la lumière de quels indices ?
Vous avez vu la démonstration des fantassins, de l’artillerie, des blindés et des unités anti-émeutes, au cœur de la capitale et ce durant 3 journées consécutives. Le geste d’intimidation n’était pas approprié. De même, une éminence de la campagne du Président sortant pouvait s’abstenir d’agiter ce genre de dissuasion : « La gestion de l’Etat est très ardue à celui qui méconnaît l’appareil de la gouvernance et en a plutôt des perceptions inapplicables aux réalités du terrain. Nous ne pouvons risquer l’avenir de notre nation, en la livrant à des gens dépourvus de l’expérience suffisante de gestion de la chose publique. Celui à qui une telle faculté fait défaut ne pourra jamais s’en sortir, il sera choqué face au réel. Il échouera à y remédier. C’est pourquoi, nous ne pouvons compromettre un pays, au salut duquel beaucoup de personnes sont mortes, d’autres sacrifiées ; et nous, on le néglige ? Jamais ! C’est impossible » :
Un observateur neutre qualifierait, la tirade, de malvenue, au minimum. Quand l’on va à l’émulation, il y a lieu d’y aller doucement et de ne pas répudier l’hypothèse de la défaite. La convocation du collège électoral n’est pas une proclamation de guerre civile.
Des récriminations montent contre la Commission nationale électorale indépendante (Céni), c’est un début de contestation du scrutin ?
Il surviendra certainement une tension, à cause de la fiabilité discutable de la Céni. L’instance d’organisation du vote manque d’impartialité et d’intégrité. En attestent les décomptes rocambolesques du scrutin de mai 2023. Les « grands électeurs » de l’Insaf escomptent, de leur troupeau convoyé, la preuve de la docilité, en photo. Or, jusqu’ici, l’interdiction du téléphone portable, aux abords de l’isoloir, n’est pas acquise. Traquez les anecdotes émoustillantes du fonctionnement de la Céni, menez votre enquête, demandez-vous comment elle sélectionne ses fournisseurs et embauche son personnel. Vous découvririez matière à vous hérisser le poil. Enfin, je vous invite à le retenir, un pourcentage conséquent de la diaspora est écarté de l’enjeu.
Si l’Opposition, singulièrement le candidat Biram Dah Abeid remporte la compétition, vous allez bien devoir vous mouiller, mettre les mains dans le cambouis de l’Exécutif ?
Pourquoi devrais-je nécessairement prétendre à une fonction de l’Exécutif ? Les cadres de bonne facture et du meilleur aloi sont légion, à l’intérieur et parmi la diaspora. Plusieurs végètent au sein de la Majorité en sursis. Personne n’est irremplaçable. Certes, réserve morale oblige, je ne puis servir l’Etat, tant que l’article 306 du code pénal et la loi d’amnistie de 1993 polluent notre jurisprudence. L’article 306 est digne de Daesh. La loi de 1993 insulte l’unité nationale et le sens élémentaire de la droiture.
Votre engagement peut dérouter. A part donner des leçons et planter des feux rouges, quelle est l’utilité de ce magistère ?
En contrepoint du politicien de terrain, véritable moteur du rapport des forces, émerge le lanceur d’alerte, une manière de rebelle de la plume et de la parole, doublé d’une vigie insomniaque, généralement à l’abri du danger. Sa citadelle se nomme exil. La vocation s’est imposée à moi. Nous sommes désormais nombreux sur le Continent. L’objecteur de conscience africain affiche une contenance d’oxymore car elle procède d’un accommodement parsemé d’épines. L’idéaliste (ce n’est pas une péjoration) se résout à vivre de peu, prend vœu d’irrévérence, s’interdit les dettes et ne s’asservit à la propriété d’un bien consistant dans son pays d’origine, dont la menace de la spoliation lui vaudrait le chantage. Il acquiert la double nationalité qui le protège des siens, gagne son pain à l’extérieur et se détourne des privilèges. Celui-là peut défier le destin, voyager léger et vivre heureux, en harmonie avec sa conviction et la compagnie de ses livres.
Bon, romantisme à part, reposons la question sous un autre angle : A quelles missions vous sentez-vous le mieux préparé ?
La direction des Eaux et forêts, les questions d’environnement, le règlement du déni de citoyenneté, l’inspection générale de l’Etat, le contrôle en amont des marchés publics, l’humanisation des prisons, m’intéressent. Un poste subalterne où j’aurais les coudées franches m’agrée.
Vous vous dites internationaliste, universaliste et n’hésitez à vous impliquer dans les luttes hors de votre pays. Combien de nationalités portez-vous ?
Je ne suis titulaire que du passeport mauritanien et m’en désole, d’ailleurs. Il est vrai qu’au renversement d’une dictature ou d’un régime d’exception, je festoie. Malheureusement, l’occasion se raréfie, les brutes reprennent l’initiative.
Selon la rumeur, l’ancien Président Mohamed Ould Abdel Aziz soutiendrait votre candidat, Birame Dah Abeid. Confirmez-vous ?
Mohamed Ould Abdel Aziz est toujours à la merci des juges et je n’entends rajouter à son infortune. Je ne cible un adversaire à terre.
Et si vous n’y arrivez pas en 2024 ? Comment préparez-vous la suite, la traversée du désert ?
Vous plaisantez ? Le désert et nous entretenons une cordiale familiarité : Nous ne cessons de l’arpenter. De toute façon, la dynamique du changement drastique est lancée, d’elle-même. Il nous revient de poursuivre le labour de la société, la formation des militants à la rébellion non-violente et à la déconstruction de l’ordre hégémonique. Le fruit mûr tombera avant terme. Sérénité et endurance !
En quelque sorte, vous vous apprêtez à rééditer l’expérience récente au Sénégal ?
S’il vous plaît, comparez ce qui est comparable ! Le Sénégal est un Etat de droit. La Mauritanie est encore une ébauche de république bédouine qui aspire à la modernité de l’esprit. Quelques décades l’en séparent. Chez nous, la base de la société s’avère aussi corruptible que le sommet est corrompu. La majorité triche parce que le nivellement par le bas et la disqualification de l’excellence ont ouvert les vannes de l’anarchie, de la foire d’empoigne. Alors, pour échapper à la file d’attente, le citoyen, pressé, achète son droit ou donne du coude, parfois en vient aux mains. A titre d’illustration, osez un tour dans les locaux de l’Agence nationale du registre des populations et des titres sécurisés (Anrpts), un spectacle ubuesque vous y attend. Ensuite, vous présenterez des excuses au Sénégal.
Comment vous comptez vous assurer des résultats à la sortie des urnes ?
Le grand défi de l’Opposition liguée, consiste à mutualiser ses ressources humaines, aux fins d’avoir 1 ou 2 représentants à l’intérieur de chaque bureau de vote et à l’entour Il faudra veiller à choisir des gens de confiance et éviter d’en mandater qui soient vulnérables à la vénalité. Voilà notre talon d’Achille.
A mi-campagne, des dizaines de localités réclament une visite du présidentiable Biram Dah Abeid, qui a le vent en poupe. Vous pensez y parvenir, vu la modicité de vos finances ?
Notre campagne est démunie. Nous manquons de moyens mais y sommes habitués. Donc, le candidat ne se rendra pas dans certains endroits du pays. Pour l’instant, nous nous efforçons de réunir quelques ordinateurs neufs et des téléphones performants pour restituer, à temps, les procès – verbaux de dépouillement. Nous font aussi défaut des drones à usage civil et de quoi alimenter, en carburant, nos émissaires motorisés. Les contributeurs de bonne volonté peuvent se rapprocher du candidat, à Nouakchott. Il n’est pas trop tard. Je le souligne, nous leur garantissons l’anonymat.
Pourquoi pas vous ?
Je séjourne loin de là, en Europe. De surcroît, il ne me paraît sage de confier, à un chômeur, le maigre denier de la cause.
Avant de conclure, quel passage de l’introduction au programme de Biram Dah Abeid vous inspire le plus ?
« …la Mauritanie de nos aspirations signera et ratifiera le Statut de Rome, endossera pleinement les mécanismes de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, abolira, de son corpus juridique, la peine de mort et les châtiments corporels et interdira l’enseignement des livres du Fiqh qui règlementent l’infâme institution de l’esclavage ».
Un dernier mot aux électeurs ?
Oui, voter Biram Dah Abeid équivaut à une révolution, les flots d’hémoglobine en moins. J’y appelle l’ultra-minorité de compatriotes qui me ferait grâce d’entendre les arguments de la raison et les alarmes de l’altruisme. Même à nous supposer un degré élevé de méchanceté et la tentation de la revanche, mes camarades de l’opposition radicale et moi, une fois parvenus au pouvoir d’Etat, ne pourrions réussir l’exploit de surpasser, les autorités actuelles, en médiocrité et brigandage. Essayez-nous, qu’avez-vous de si précieux à aliéner? Le bien-être, le confort, l’indépendance de la magistrature, l’abondance, les loisirs, le pouvoir d’achat, la couverture maladie universelle, la garantie du lendemain radieux ? Vous n’en jouissez, même pas à dose homéopathique ! Dans un environnement sain, 5 années d’attente gratuite suffisent à instruire le désenchantement. Alors, à moins de se résigner ou de s’en remettre aux décrets hasardeux de la Providence, les prières, seules, ne hâteront l’échéance de l’émancipation.
Je vous remercie de m’avoir accordé autant d’attention, c’est moi qui sors de l’entretien, bousculé.
Vous m’en voyez navré. Merci à vous !