Note d’information:Mauritanie : bavures, discriminations, mensonge d’Etat et impunité
- Au milieu de la nuit du dimanche 28 mai 2023, dans la commune de Sebkha, ghetto de populations noires à l’Ouest de la capitale Nouakchott, une patrouille de police croise une voiture en panne et apostrophe le propriétaire, Oumar Diop, mauritanien, d’ascendance subsaharienne, âgé de 38 ans. Les 3 agents reconnaissent le jeune homme, auquel ils extorquaient, la veille, une partie de de la somme en sa possession, soit environ trois millions d’ouguiya anciennes. Grâce à l’intervention d’un membre de sa famille, il a pu garder son argent, diminué de 25 000 ouguiyas, qu’il remit aux racketteurs, comme prix de sa liberté. Au cours de la deuxième interpellation – dont nul ne sait si elle était préméditée ou relevait d’un malheureux hasard – Omar résista à la nouvelle tentative de spoliation et refusa de suivre, ses assaillants. Selon plusieurs témoins oculaires – d’ailleurs verbalement intimidés par les hommes en uniforme – il fut battu, traîné sur le sol, ligoté et jeté, à l’arrière d’un véhicule de police, en direction du commissariat de Sebkha1. Avant son arrestation fatale, Oumar aurait laissé son épouse enceinte, à l’hôpital et serait revenu, chez lui, sous l’impulsion d’une urgence ; sur le chemin du domicile, sa voiture subit un dysfonctionnement qui l’immobilisa. Face au contretemps, il prendra le temps d’appeler des amis et un parent. Avec leur concours, il sollicitait l’aide de conducteurs et de passants…
- A l’aube, la police apprend, aux proches de Oumar, le décès de ce dernier, des suites d’un malaise, après la prise de stupéfiants. Selon cette version, d’autres drogués le molestaient, sur la voie publique, durant une rixe, puis s’enfuyaient ; ainsi se justifie sa prise en charge par 2 agents, son transport, inconscient, d’abord vers le commissariat. Plus tard, la police l’emmena à l’hôpital national où il fallait le soigner des signes d’étouffement ; là, un médecin de garde lui aurait prescrit un traitement mais le patient trépassera, dans la foulée, sur place. Or – l’affabulation omet de l’indiquer – Oumar se trouvait entre les mains de ses geôliers, de minuit à 04 heures du matin.
- Le lendemain, à 00h15, alors que les manifestations d’indignation secouaient la capitale puis d’autres villes, la Direction générale de la sûreté nationale (Dgsn) publiait le récit apocryphe, sur sa page Facebook ; il y est toujours archivé :
https://www.facebook.com/photo/?fbid=155805284141628&set=a.140083215713835
Aussitôt affluent les démentis, de la part de spectateurs et de badauds, à proximité immédiate de l’évènement :
- Le 30 mai, la Dgsn, relayée sur le site de l’Agence mauritanienne d’information (Ami), constate et réprouve l’implication d’étrangers, « à des actions subversives». L’on se souviendra que le plus récent usage de la rhétorique conspirationniste date du lendemain de l’élection du Président de la République, en juin 2019 ; du fait des suspicions de fraude qui empêchaient un second tour de scrutin, l’opposition s’élevait, dans la rue, suscitant un état de siège et la suspension de l’internet mobile, à l’image des mesures aujourd’hui en vigueur. L’Ami, convient-il de le préciser, représente la voix du pouvoir exécutif. Le texte est encore disponible :
- Le 30 mai, devant la presse, le ministre de l’Intérieur et de la décentralisation entérine le communiqué de la police et lui confère, ainsi, l’autorité d’un mensonge d’Etat :
A divers endroits du territoire, des citoyens choqués par la récurrence de la brutalité discriminatoire envers les Mauritaniens d’extraction subsaharienne, expriment leur colère dans diverses villes, notamment Nouadhibou, Zouérate, Nouakchott, Kaédi, Boghé, Bababé…
https://kassataya.com/2023/05/31/mauritanie-six-villes-sembrasent-apres-la-mort-de-oumar-diop/
- Le 30 mai, le Procureur de la république, près le tribunal de Nouakchott ouest, annonce une enquête, au lendemain de l’autopsie ; dans sa déclaration, il reprend la thèse de la police et du ministre de l’Intérieur, selon laquelle Oumar Diop aurait trépassé à l’hôpital et non aux mains de ses tortionnaires. Après les contrevérités de la police et d’un membre du gouvernement, vient le tour de la magistrature :
Une mécanique identique prévalait, lors de la bavure du 9 février 2023 ; le citoyen Souvi Jibril Soumaré, succombera, le lendemain, entre les mains de policiers zélés, au commissariat de Dar Naïm 2, une banlieue de Nouakchott. S’ensuivit une investigation interne qui conclura à la commission d’actes de torture, ayant entraîné l’exécution d’un homicide, en bande. Les 7 suspects, dont l’officier de commandement, seront inculpés et écroués. D’ici un procès hypothétique et en dépit de la reconnaissance de son tort, la page Facebook de la police continue d’afficher la fable d’un accident de santé :
- Le 30 mai, un jeune Hartani, Mohamed Lemine Alioune N’Daiye, né en décembre 1996, Numéro national d’identification (Nni) 6403283505, tombe sous deux balles des forces de l’ordre, à Boghé, tandis qu’il participe à une marche de protestation. Pire, celui-ci vient d’être inhumé, en catimini, à l’insu des siens, qui réclamaient un complément d’investigation ; l’autorité administrative, que dirige Sidi Ould Mohamed, préfet de Boghé, essayait, en vain, d’infléchir la position de la famille d’esclaves émancipés, par le recours à l’entregent de leur ancien maître, Seyidi Ould Mohamed Abdallahi. Quant au procureur de la république à Aleg, Cheikh Baye Ould Seyid, il répugne à poursuivre le tireur, quoique son identité soit connue, désormais. Il s’agit de l’adjudant Moussa Ould Aboyd. Et, révélateur de la confusion des genres au sein de l’appareil d’Etat, le commissaire de police à Boghé, supérieur hiérarchique du tueur, n’est autre que Mohamed Ould Seyid, frère du magistrat susnommé…L’affaire se passe en famille. Jusqu’à présent, l’Etat ne prend aucune mesure conservatoire envers les meurtriers de Oumar Diop et de Mohamed Lemine Ould Samba.
- Il n’en fallait pas plus pour déclencher des actes de vandalisme sur la place publique, tant les autorités ont sombré dans la ligne du déni, de la falsification et, surtout, de l’imprudence, quand elles décidèrent de militariser les bidonvilles et quartiers précaires où croupit une population ethniquement homogène. Des centaines de jeunes, la plupart mineurs, sont battus, jusqu’ à l’intérieur des cours d’habitation et parqués à l’intérieur de cellules insalubres des commissariats ; de nombreuses familles errent, encore, à la recherche de leurs enfants, avec le concours de militants des droits humains et de quelques élus de l’Opposition.
- Malgré l’établissement de l’exactitude des faits, par les témoins et la presse libre, des blogueurs, écrivains et diffuseurs de vocaux, connus pour la proximité avec les renseignements généraux et l’appartenance au parti-Etat que dirige le président Mohamed Cheikh Ghazouani, rivalisent d’appels à la haine anti-pulaarophones. Ils furent les premiers à diffuser la fiction de la police, des heures avant sa publication. Ces prêcheurs continuent à accréditer la thèse, fort usée, du complot judéo-nègre. Le credo rappelle les années de braise, sous la dictature du Colonel Ould Taya précurseur de l’entreprise de purification ethnique qui endeuillait les négros-mauritaniens, de 1986 à 1991. Les commanditaires et exécuteurs demeurent à l’abri du droit.
- Au niveau global de la gouvernance et des facultés d’anticipation du désordre, les autorités actuelles de la Mauritanie trahissent les symptômes critiques de l’imprudence, de l’incompétence et de l’amateurisme ; le personnel bédouin, sous-qualifié, détenteur de faux diplômes, souvent monolingue, ethnocentré et essentiellement mercantile n’est plus en mesure de diriger un Etat moderne. Pire, un pouvoir qui ment ouvertement à sa population, n’en mérite plus ni la crainte ni le respect. De facto, il devient un danger pour la stabilité du pays et le fossoyeur des institutions de la république.
Nouakchott 05/06/2023
La commission de communication