Ces vrais problèmes africains que les élites ne veulent pas voir
Le Sommet UA-UE s’achevait, le 30 novembre, à Abidjan ; au-delà du succès de l’organisation, les résultats illustrent ce confort réifiant de la diplomatie qui consiste à traiter les effets pour mieux différer les causes.
Tribune. L’occasion s’offrait de démystifier les ressorts d’une faillite unilatérale, lesquels justifient la ruée vers l’Europe dont la prochaine vague bout déjà. Hélas, la pensée mercantile – par définition impatiente – empêcha les esprits d’avoir le courage de cette vision. Une population nombreuse recèle un marché, clament les praticiens de l’empirisme épicier. Et comment envisager le marché sur un champ de ruine ? Au lieu de parler, enfin, reboisement, contraception volontaire, démocratie et éducation contre l’intolérance, l’on se fit resservir du « forum des affaires », « entreprenariat » et « business plan ». « Investir dans la jeunesse » aura été un énième leurre.
L’occultation
Les foyers de tension jihadiste se disséminent et leur espace enfle. De conflit de basse intensité et menace résiduelle, la dynamique tisse son asymétrie autour de la planète. Le vieux continent ne semble préparé au péril terroriste ; ce dernier se greffe sur les inégalités et l’impunité de la concussion, pour s’enraciner parmi les déshérités, avant d’irriguer le corps social. La déconfiture de l’État africain découle, surtout, de l’immunité de ses élites, rarement comptables devant les électeurs. Pourtant, selon la vox populi, nos misères ne relèvent pas de notre responsabilité ; c’est la faute de l’impérialisme, du Blanc, de l’étranger… Pourquoi s’exercer au désagrément de l’autocritique lorsque la mémoire vous offre l’opportunité d’une esquive, sans délai ?
Partout, désertification, poussée des naissances et des bidonvilles insalubres précèdent l’apparition des prédicateurs salafistes
La déforestation, l’analphabétisme, la surnatalité et le chômage, contribuent à propager et amplifier l’extrémisme religieux et sa promesse d’une félicité post-mortem. Les damnés de la terre, que leur terre stérile ne nourrit plus, descendent profond, du Sahel au Sud, avec ou sans le cheptel bovin, là où subsiste de la verdure. Ils s’y confrontent aux autochtones, en majorité cultivateurs sédentaires ; résulte, du choc, une invasion en douceur que ponctuent, cependant, des tueries pour l’appropriation du sol, sur fond d’ethnicité, bientôt de haine confessionnelle. Le prosélytisme de l’uniformisation ronge, en silence, la diversité de la culture et des modes de vie. Partout, désertification, poussée des naissances et des bidonvilles insalubres précèdent l’apparition des prédicateurs salafistes, puis, dans leur sillage, les femmes et fillettes, vêtues de noir, sous un soleil de plomb. Nos gouvernements y considèrent plutôt le fait divers, voire un mode insolite de mondialisation. Néanmoins, au risque d’improviser une théorie des climats, l’évidence d’une corrélation de la violence religieuse à l’hostilité de la nature s’impose, en Afrique.
Le piège
D’un pays à l’autre vous êtes affligés par la même histoire de sélection vénale aux concours, d’embauches achetées, de bourses d’études obtenues grâce à une « avance » que la famille cotise. Restent, au gros contingent sans espérance, les trois options du pire : la délinquance de connexion, le chemin de la noyade et le suicide en martyre. Les plus pressés misent, en général, sur le raccourci vers le Paradis. Or, face au fanatisme, nombre d’institutions multilatérales de développement ne disposent des instruments prédictifs d’analyse, d’anticipation et de riposte. À peine savent-elles en atténuer les symptômes, souvent du point de vue de la trivialité pratique et avec retard. À d’exotiques exceptions près, l’Afrique, non plus, n’offre pas de perspective viable à ses enfants. La facilité en vogue leur fait miroiter l’imminence du salut.
Loin des mirages de l’émergence, il s’agit, d’abord, d’inverser la vitesse d’une fertilité qui surpasse, la création de richesses
Une école, un dispensaire et une gare débordent d’une affluence pour laquelle ils n’étaient pas conçus et les citoyens s’empressent de recourir à la corruption, comme réflexe de survie ; ainsi arrachent-il à l’encan, un lambeau de droit trop disputé ; ils dépensent le peu en leur possession, à l’unique fin de gagner un jour dans la jungle du pullulement. Par campements entiers, des multitudes d’orpailleurs clandestins creusent en quête d’or, infectent les nappes phréatiques de mercure et de cyanure et ne reboisent jamais ; ailleurs, d’autres abattent des arbres pour semer, chauffer la marmite et bâtir un logis ; l’urbanisation horizontale accentue le désastre de l’écologie et ses conséquences paraissent peu réversibles.
Le sursaut
Les cadres de l’Afrique rassurée, chantres d’un optimisme de convenance auquel ils finissent par croire, éludent le lien entre démographie et surconsommation de ressources non-renouvelables. Quand le président d’une puissance coloniale s’aventure à leur tenir la vérité banale, l’invective fuse. Pas davantage n’admettent-ils l’hypothèque de la polygamie.
À présent, trêve de complaisance, le temps est venu de réévaluer les moyens pour prévenir la simultanéité d’autant de facteurs de désordre ou, du moins, en amoindrir les répercussions, d’une rive à l’autre de la Méditerranée. Loin des mirages de l’émergence, il s’agit, d’abord, d’inverser la vitesse d’une fertilité qui surpasse, la création de richesses.
par Abdel Nasser Ethmane , fonctionnaire international et spécialiste des enjeux globaux de paix et de sécurité en Afrique francophone et du Nord.
source: http://www.jeuneafrique.com