Les Harratines: Communauté entre l’enclume et le marteau, parcours de lutte

Comme disait quelqu’un : « la génération de lutte peut changer, mais le but de lutte reste le même ; l’histoire est le récit des événements et le tableau des mœurs des temps passés ».

Dans un  des écrits précédents paru sur la toile, l’historicité du combat  en  Mauritanie fut déroulée en faisant certes l’économie de certains aspects évènementiels de cette lutte ; l’objectif était de déceler les portées et  limites de ce combat ô combien salutaire, mais aussi d’en tirer des leçons afin d’éviter certains écueils.

A présent,  cette contribution se consacre à l’apport de construction du changement mental et  sociétal mené par mes doyens d’âge et cousins de race harratine : forces et faiblesses, succès et échecs.

En effet, les premiers résultats isolés et solitaires inscrits dans l’actif de cet engagement, revenaient essentiellement aux pères de la lutte dans des moments difficiles où le poids de la tradition surpassait   l’existence de l’état moderne, où l’alliance féodaux-tribale  détentrice du pouvoir réel d’alors rendait difficile l’action de nos vaillants militants abolitionnistes en avance sur leur époque; et où l’archaïsme des moyens de communication était de mise.

Deux exemples illustratifs pour rafraichir la mémoire, les rudes altercations début des années 60 de Messaoud Ould Boulkheir alors employé  dans l’administration territoriale avec ses supérieurs hiérarchiques sur des cas d’esclavage et les plaintes contre des pratiques esclavagistes  portées en 1969 par Boubacar Ould Messaoud auprès du Gouverneur de Rosso de l’époque Gaye Gandéga, ;c’est le moment et le lieu   de leur rendre un vibrant hommage en leur tirant nos chapeaux et leur ôtant nos turbans.

L’évolution de la lutte prendra une forme organisationnelle effective le 5 Mars  1978, avec l’avènement de la création du Mouvement Elhor, consécration d’une conscientisation effective des descendants d’esclaves sur  leur situation de servilité donnant naissance à des manifestations contre les pratiques esclavagistes dans les rues de Nouakchott et les villes de l’intérieur. Rappelant ce mouvement, le premier procès des abolitionnistes a vu le jour en 1981 à Rosso, dans le fameux dossier appelé « Affaire Boubacar Messaoud et Consorts » ; ma pensée va à ces héros de l’histoire, mais aussi à Bilal Ould Werzig diplomate de son état à Abidjan en 1981, qui en guise de solidarité  avec les détenus démissionna de son poste.

Les membres fondateurs qui avaient l’ingéniosité de cette idée se fixèrent comme principes entre autres, une conscientisation idéologique permanente des harratine pour que chacun reconsidère sa situation, se reconnaisse comme étant digne de sa condition humaine et reconstituer l’historicité authentique de cette communauté afin de fournir aux générations futures que nous sommes mais aussi celles qui viendront, la situation de souffrance et de calvaire que leur peuple a enduré durant des siècles passés .

Ces visionnaires ont le mérite d’avoir posés les jalons de ce combat triomphant et libérateur, qui aujourd’hui s’impose sur le plan national et international,  donnant naissance à d’autres organisations plus percutantes, perspicaces et beaucoup mieux élaborées.

Le mythe brisé, l’émancipation, la conscientisation des masses à ascendance servile déclenchée, pratiques inhumaines dénoncées et dénudées et génération montante  élevée à la sève idéologique de la liberté  devenue consciente de ce qu’elle est ; les pères fondateurs doivent s’estimer heureux et  ceux parmi eux qui ont rendu l’âme, qu’ils reposent en paix.

Avec l’avènement démocratique, un premier parti patriotique-national d’obédience abolitionniste est créé (Action Pour le Changement) suscitant l’engouement et la mobilisation des masses d’origine servile,  créant un rapport de force important sur l’échiquier politique national, ce qui lui a valu la  diabolisation puis la dissolution sous l’instigation des ultraconservateurs du PRDS, une autre tentative fût engagée pour créer un autre parti (Convention Pour le Changement), mais l’aristocratie hégémonique du système Ould Taya s’y opposa farouchement.

En 1995, SOS-Esclaves était mis sur pieds, secouant violement les mentalités conservatrices, remobilisant d’avantage l’opinion contre l’esclavage en le rendant visible  et  moins tabou.  

En 2000, l’irréductibilité du Diplomate Docteur Mohamed yahye Ould Ciré conspira contre lui une alliance tribalo-tribale ce qui le poussa à l’exil en créant avec les hommes libres de la diaspora L’Association des Haratines Mauritaniens en Europe, ce qui fut un pas important vers l’internationalisation de la cause.

En 2008, L’Initiative de Résurgence du Mouvement Abolitionniste voit le jour, insufflant  dans ses premières années une forme de lutte choc, séduisant et ouvrant la porte à beaucoup de jeunes qui s’y trouvaient notamment dans la méthode, l’action et  le discours.

Le Manifeste pour les Droits Economiques, sociaux et des Haratine, mouvement civique  crée en 2013, engobant des hommes éclairés de toutes les communautés, avec une capacité de mobilisation de taille.

Toutefois, force est de constater que cette lutte est limitée par un certains nombres d’entraves, souvent d’ordre personnel, méthodologique ou conceptuel.

Bref, un leader consensuel, sincère et rassembleur ; l’illusion de la célébrité et le mirage   des bains de foule le soutenant lui procurent une surestime de soi, commence à susciter des attitudes paranoïaques et des petites jalousies, ce qui crée souvent de l’animosité et l’éclatement de son entourage d’où son affaiblissement

Les initiatives et les alliances contre nature à dessins politique d’intérêt individuel ou groupal au détriment de la cause principale, et en fin  les luttes de positionnement et de leaderships aboutissent dans la plus part des cas à l’éclatement des structures et à la dispersion des forces.

Tout ceci fait que les harratines sont malheureusement entre l’enclume d’une partie de son élite en mal de repère,  à la recherche d’une notoriété et un pan important de la société majoritairement réfractaire à l’état de droit, nostalgique d’un passé perdu.
Maham Youssouf

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