Diop Amadou Tijane, vice-président d’IRA-Mauritanie dans une interview exclusive : ‘’Le verdict de Zouérate est une cinglante défaite pour le pouvoir’’
Diop Amadou Tijane est à l’avant-garde du combat mené par le mouvement IRA contre l’esclavage, les discriminations et les injustices sociales. Le vice-président d’IRA-Mauritanie fut condamné, sans la moindre preuve de culpabilité, à quinze ans de prison, par la Cour criminelle de Nouakchott-Ouest pour « avoir orchestré les échauffourées du 29 Juin dernier, au squat sise l’hôpital Bouamatou. » Plaidant à nouveau non coupable, devant la Cour d’appel, il a, durant quatre heures d’horloge, démonté la thèse de l’accusation, administrant, en retour, un mémorable réquisitoire auprès du tribunal. Dans cette interview exclusive, Diop livre ses impressions sur le verdict, les conditions de détention et charge le régime qui s’incruste dans des pratiques répréhensibles.
Le Calame : La Cour d’appel vient de rendre un verdict jugé plutôt clément, à l’égard des cadres et militants d’IRA. Quelle lecture en faites-vous ? Quels sentiments éprouvez-vous, envers vos geôliers et tortionnaires ?
Diop Amadou Tidjane : Mon impression, suite au verdict de Zouérate du 18 Novembre 2016, est qu’une fois encore, IRA, notre organisation, a remporté une victoire, dans son combat, inébranlable, pour l’avènement d’un Etat de droit. J’ai naturellement donc senti une défaite cinglante du pouvoir, dans sa manœuvre visant à anéantir la progression de la lutte pacifique de notre organisation. A mon avis, les magistrats de la Cour d’appel ont observé, avec la plus grande vigilance, aussi bien la comparution des prévenus qui se sont succédé à la barre que la plaidoirie de la défense et de la partie civile. Ce qui leur a permis, au moins, d’apprécier, en toute lucidité, que les charges retenues contre les prévenus que nous sommes n’étaient nullement justifiées et qu’elles résultaient, bien entendues, d’une volonté clairement délibérée des services de renseignements de décapiter IRA, par l’internement de ses membres, toutes instances confondues. Le collectif de défense a pu prouver, à partir de la vidéo projetée par le procureur lui-même, lors du procès de première instance, que les violences étaient, en vérité, orchestrées par un groupe d’individus en connivence avec les services de renseignements. D’ailleurs, dois-je préciser au passage, certains de ces individus qui apparaissaient clairement, dans la vidéo, en train d’asperger le bus d’essence, tout en demandant, à leurs comparses, de faire face au caméraman, tenaient des discours racistes dirigés contre les Maures. Ces personnes furent arrêtées par la police et conduites aux commissariats… pour y être aussitôt relâchées ! Alors, nous demandons juste de se servir du bon sens : pourquoi ces individus pris en flagrant délit n’ont-ils pas fait objet d’interrogatoires puis de jugement devant le tribunal ? Nous avons été accusés, en lieu et place de criminels identifiés, pris en flagrant délit dans un acte criminel, commis à un endroit X, alors nous avons été arrêtés dans un endroit Y et, de surcroît, le lendemain, en ce qui me concerne, pour mon cas et huit jours plus tard, pour d’autres parmi mes camarades. En bref, aucun membre d’IRA n’a été arrêté sur les lieux, contrairement aux propos mensongers du wali de Nouakchott-Ouest et du porte-parole du gouvernement.
Je veux, ici, marquer une réticence, par rapport au verdict, en ce sens que trois innocents parmi les militants d’IRA sont toujours en prison. Il s’agit d’Abdallah Matala Saleck, Moussa Bilal Biram et Abdallah Abou Diop qui furent sévèrement torturés, par la police, durant les interrogatoires et présentent encore les traces des sévices subies. J’estime que notre libération ne sera jamais effective, tant que ces trois camarades n’auront pas recouvert leur liberté. Nous avons, dès le lendemain de notre arrivée à Nouakchott, entrepris des actions conjointes avec les avocats, pour qu’ils retrouvent, le plus rapidement possible, leur liberté.
– Pensez-vous que les pressions internationales, les plaintes déposées à l’encontre de vos tortionnaires et le lobbying de Biram Dah Abeïd ont poussé les autorités judiciaires à vous relaxer ?
– Même si les pressions internationales, les plaintes déposées à l’encontre des tortionnaires et le lobbying du président Biram Dah Abeïd ont été pour quelque chose – à cet égard, j’ai l’habitude de dire que les Etats qui ont ratifié des conventions, à travers des cadres et institutions internationales, sont tenus, pour s’y maintenir, de respecter certaines normes, notamment en tout ce qui a trait au respect des droits humains – il faut aussi reconnaitre que notre liberté fut encore acquise, grâce, d’une part, à cette redoutable arme qu’est la comparution des prévenus et, d’autre part, à la plaidoirie implacable des avocats de la défense. On se félicite donc mais on félicite aussi le collectif de la défense, pour sa clairvoyance, surtout, qui lui a permis de refuser l’optique du boycott.
Nous, les prévenus, avons utilisé ce procès comme une véritable tribune devant laquelle nous avons clairement démontré notre innocence et prouvé, par la même occasion, que nous étions victimes d’une machination qui visait, comme je l’ai dit, à décapiter IRA, en s’attaquant aux membres de son bureau exécutif, aux responsables de ses sections et de son comité de paix. Les avocats de la défense ont assuré, de leur côté, avec responsabilité et professionnalisme, une prestation d’une rare pertinence. Tour à tour, au cours de leur plaidoirie respective, ils ont vidé, sans aucune difficulté, le dossier, en prouvant clairement que la culpabilité de leurs clients n’a pu être établie, ni par le Parquet, ni par leurs collègues de la partie civile. Et qu’il s’agissait d’un procès purement politique visant l’organisation IRA. Nous leur renouvelons, à travers le président qui conduisit leur collectif, le bâtonnier maître Cheikh ould Hindy, nos sincères remerciements.
– Vous avez été détenu quatre mois, en compagnie de vos camarades ; par la police, d’abord, ensuite à la maison d’arrêt de Dar Naïm et à la prison de Zouérate. Comment avez-vous vécu cette épreuve ?
– L’épreuve fut très dure ; tant, au début, à la prison secrète conçue et réservée, exclusivement, aux terroristes, où nous fûmes enfermés, dix jours durant, qu’à la maison d’arrêt et correctionnelle de Dar Naïm et à la prison de Zouerate. Nous avions, en face de nous, des représentants de l’ordre qui n’étaient que prolongements des services de renseignement dont ils recevaient les ordres. Cela signifiait volonté toujours omniprésente de faire le mal et de nous faire mal ! Nous étions plus étouffés, plus contraints et, surtout, plus surveillés que les autres prisonniers. Des ordres stricts avaient été donnés de nous contrôler en permanence, surtout lors des visites, très restreintes, contrairement aux autres prisonniers qui bénéficiaient de faveurs sans autorisation préalable d’un juge. Ce qui était impensable pour nous. Mais nous avons toujours refusé la soumission de notre droit, nous y avons opposé résistance, y compris devant les colonels, les régisseurs et, même, le directeur des prisons responsables de l’administration, de la sécurité et la gestion pénitentiaire. Nous avons également fait objet de plusieurs fouilles, à Dar Naïm comme à Zouérate.
– Certains de vos détracteurs insinuent un éventuel départ des pontes négro-africaines du mouvement abolitionniste. Comptez-vous continuer à militer au sein d’IRA ou mettrez-vous sur pied un nouveau cadre ?
-J’aurais préféré ne même pas répondre à cette question mais, puisque vous insistez, je précise que s’il s’agit d’une rumeur, elle est fausse. Ni moi ni aucun négro-africain, personne n’est animé d’une intention autre que voir IRA arriver, un jour, à son objectif : voir notre chère patrie libérée des tares sociales qui ont compromis, dès le lendemain de l’Indépendance, le fondement d’un Etat unitaire fédérateur. Ces tares, nous l’avons toujours dit, sont l’esclavage, le racisme entretenu par l’Etat, la féodalité, le tribalisme et le régionalisme.
– Biram Dah Abeïd semble contraint à un « exil forcé ». Pensez-vous que c’est une bonne manière de combattre le régime ?
– A cette question, le président BDA est mieux placé pour répondre. Toutefois, je dois vous le dire tout de suite, je ne pense pas qu’il soit en exil, forcé, de surcroît ! Sinon, j’en demanderai le motif. Il s’agit, plutôt, d’une volonté de respecter un calendrier de séjour international établi depuis fort longtemps. Ce n’est même pas une stratégie de combat.
– Trois de vos compagnons d’infortune restent encore dans les liens de la détention. Quel message personnel leur adressez-vous ?
– Ceux-là n’ont besoin d’aucun conseil, ils ont déjà toute l’expérience nécessaire pour survivre dans une prison. La patience d’un militant des droits de l’homme privé de sa liberté constitue une devise. Ils sont conscients que cette privation est une preuve de ce qu’ils sont sur le bon chemin. Comme nous tous, ils sont préparés à rester aussi longtemps et peut-être, même, subir d’autres séjours en prison, tant que sévira, quelque part en Mauritanie, un seul cas d’esclavage ou une violation du droit d’un seul citoyen, sous quelque forme que ce soit.
– Un mot particulier ?
Le dernier mot que je lance s’adresse à tous les Mauritaniens et, particulièrement, au régime en place : reconnaissons, tous ensemble, que nous sommes confrontés à un véritable problème qui compromet, comme je viens tantôt de le souligner, le fondement d’un Etat unitaire et fédérateur. Et donc qu’il est nécessaire de trouver les solutions qui s’imposent. Ensuite, j’invite le régime en place à comprendre que ce n’est pas par l’intimidation, la répression, encore moins par les arrestations et condamnations, qu’il viendra à bout de la détermination de ses détracteurs. Il va, plutôt, lui falloir œuvrer en toute sincérité, en faisant preuve d’une réelle volonté de trouver définitivement des solutions durables.
Aux braves militantes et militants, nous disons de poursuivre leurs actions, tant qu’elles sont conformes à l’esprit du droit, obéissent à l’exigence de la loi et s’inscrivent dans une optique de non-violence. Malheureusement, des personnes de mauvaise foi s’obstinent à vouloir diaboliser IRA et ses responsables que nous sommes. Cet objectif ne sera jamais atteint car nous sommes une organisation pacifique. Lors de la détention des présidents Biram Dah Abeïd et Brahim Bilal Ramdane, nous avons organisé, en guise de protestation, chaque mercredi huit mois durant, un sit-in et, chaque lundi, une marche populaire, soit près de soixante-seize marches. Jamais nous n’avons frappé un seul policier, jeté une seule pierre, à plus forte raison, brulé un seul bus ! Nos marches sont, le plus souvent, réprimées dans le sang mais nous n’avons jamais riposté par la violence. Tous les policiers peuvent l’attester. Alors pourquoi accepter de s’embarquer, aussi naïvement, dans les violences entre squatteurs et forces de l’ordre, pour une histoire dont on ignore complètement l’origine ?
Propos recueillis par Thiam Mamadou