L’Observatoire: Mauritanie: Poursuite de détention arbitraire et transfert de 13 membres de l’IRA-Mauritanie

APPEL URGENT – LOBSERVATOIRE

NOUVELLES INFORMATIONS
MRT 001 / 0716 / OBS 064.2
Condamnation / Détention arbitraire /
Torture et mauvais traitements / Détention au secret
Harcèlement judiciaire / Libération
MAURITANIE
11 octobre 2016

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de
l’Homme, un partenariat de la FIDH et de l’Organisation mondiale contre
la torture (OMCT), a reçu de nouvelles informations et vous prie
d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante en MAURITANIE.

NOUVELLES INFORMATIONS :

LObservatoire a été informé par des sources fiables de la poursuite de la détention arbitraire et du transfert loin de leur lieu de résidence des 13 membres de lInitiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA-Mauritanie[1] [1]) détenus. Tous ont été condamnés à des peines de trois à 15 ans de prison ferme, au terme dune procédure entachée de nombreuses irrégularités.

Selon les informations reçues, le 28 septembre 2016, les 13 membres de l’IRA-Mauritanie[2] [2], qui ont été condamnés le 18 août 2016 à des peines allant de trois à 15 ans de prison (cf. rappel des faits), ont été transférés à Zouérat, à une distance de 770 km de Nouakchott, où le procès en appel devrait se tenir dans quelques jours, avant leur transfert définitif à la prison de Bir-Moghrein, à 1 120km de Nouakchott, où ils devraient purger leur peine.

Situé dans l’extrême nord de la Mauritanie, la prison de Bir-Moghrein est très difficilement accessible par voie terrestre en raison du terrain désertique et de la menace sécuritaire pesant dans cette région. Se rendre sur place est très coûteux et dangereux pour les familles des détenus, leurs avocats et les militants, qui auront beaucoup de difficultés à leur rendre visite et à assister au procès. De plus, le bagne de Bir-Moghrein est réputé pour ses conditions de détention extrêmement difficiles[3] [3] et le transfert des 13 membres de l’IRA avait été déconseillé par leurs médecins, qui les considèrent trop affaiblis en raison des actes de tortures subis.

LObservatoire exprime par ailleurs sa plus vive préoccupation concernant létat de santé de M. Amadou Tidjane Diop, qui continue dêtre privé des soins médicaux nécessaires en prison (cf. rappel des faits). MM. Abdallahi Matallah Seck, Adballahi Abou Diop, Balla Touré, Khatri Mbareck, Jemal Samba Beylil et Moussa Biram nont pas non plus eu accès aux soins médicaux requis suite aux actes de tortures et de mauvais traitements subis depuis leur arrestation. Enfin, M. Hamdy Hamar Vall souffre d’une hépatite et nécessite un traitement dans les plus brefs délais.

L’Observatoire craint que le dépaysement de l’appel et le transfert des 13 défenseurs au nord du pays ne visent qu’à les éloigner de leurs familles, de leurs avocats et de tout soutien de la société civile et à les punir davantage pour leurs activités en faveur des droits humains et dénonce fermement ce transfert et le harcèlement continue à leur encontre.

De plus, l’Observatoire a été informé de l’arrestation de M. YACOUB INALLA, membre de l’IRA-Mauritanie, le 13 septembre 2016, jour de la fête de Tabaski, alors qu’il prenait la parole devant un groupe de fidèles rassemblés pour la prière à Aleg. Lors de son discours, M. Yacoub Inalla avait appelé au respect de la justice, aux droits de la personne humaine et de la dignité dans le pays.

Deux policiers en tenue officielle ont procédé à l’arrestation musclée de M. Yacoub Inalla sans préciser le lieu de détention de ce dernier. Le 15 septembre 2016, les proches de M. Yacoub Inalla l’ayant vu à l’hôpital de la ville d’Aleg où il avait été transféré pour des soins d’urgence, ont rapporté qu’ils craignaient que celui-ci ait fait l’objet de torture en détention. Poursuivi pour « incitation à la violence », _ « violences à légard dagents de la force publique », « rébellion », « appartenance à une organisation non enregistrée » et « troubles à l’ordre public et à la prière »,_M. Yacoub Inalla a pu voir son avocat le 19 septembre 2016 lors de sa comparution devant le procureur. Après huit jours de torture et de
détention au secret, Yacoub Inalla a été libéré et placé sous contrôle judiciaire sous l’autorité du juge d’instruction de la ville d’Aleg, dans l’attente de son procès.

LObservatoire appelle à la libération immédiate et inconditionnelle des 13 défenseurs condamnés ainsi quà labandon de toutes charges à leur encontre et à l’encontre de M. Yacoub Inalla, et appelle dans lintervalle les autorités mauritaniennes à garantir le respect du droit à un procès équitable, y compris en assurant l’accès à un avocat, conformément aux instruments internationaux et régionaux ratifiés par la Mauritanie.

L’Observatoire condamne fermement les actes de torture et mauvais traitements en détention perpétués à l’encontre de MM. Amadou Tidjane Diop, Abdallahi Matallah Seck, Adballahi Abou Diop, Balla Touré, Khatri Mbareck, Jemal Samba Beylil, Moussa Biram, Hamdy Hamar Vall et Yacoub Inalla et demande aux autorités mauritaniennes de mener une enquête immédiate, indépendante et efficace et transparente sur ces faits, afin d’identifier tous les coupables et de les sanctionner
conformément à la loi.

RAPPEL DES FAITS :

Le 30 juin 2016, MM. Amadou Tidjane Diop, Abdallahi Matala Seck et Moussa Biram ont été arrêtés à leurs domiciles respectifs par des policiers en civil, sans aucun motif ni mandat darrêt. Le même jour, M. Jemal Samba Beylil a été arrêté à son travail dans la commune du Ksar. Le 1er juillet au matin, M. Balla Touré a été arrêté à son tour à son domicile. Le 3 juillet 2016, alors quils quittaient une conférence de presse organisée pour appeler à la libération de leurs
collègues, MM. Hamady Lehbouss, Ahmed Hamar Vall et KhatriRahel Mbareck ont été arrêtés dans la rue par des policiers en civil. Le même jour, M. Mohamed Jarroullah a également été interpellé par des policiers en civil. Le 8 juillet, M. Mohamed Daty a été arrêté à la sortie du tribunal où il travaille en tant que greffier. MM. Ousmane Anne et Ousmane Lo ont quant à eux été arrêtés le même jour dans la rue. Enfin, le 9 juillet, M. Abdallahi Abou Diop a été arrêté sur son lieu de travail, après avoir été frappé par les policiers.

Les 13 membres de l’IRA ont été arrêtés en lien avec une manifestation spontanée organisée le 29 juin 2016 contre l’expulsion forcée dune vingtaine de familles installées dans un bidonville dans le quartier de Ksarn, en périphérie de la capitale Nouakchott, au cours de laquelle des scènes de violences ont été perpétrées[4] [4]. Selon les informations reçues, aucun des 13 membres ne se trouvait sur les lieux de la manifestation. L’un d’entre eux, M. Mohamed
Jarroulah, se trouvait même à 1 200 km de Nouakchott ce jour-là.De plus, lIRA-Mauritanie na ni organisé ni participé à cet événement.

Le 12 juillet, entre 4h30 et 7h45 du matin, les 13 défenseurs ont été interrogés par le Parquet au sujet de la manifestation du 29 juin. Ils ont alors pu, pour la première fois depuis leur arrestation, sentretenir avec leurs avocats, après avoir été détenus au secret pendant trois à 12 jours.

Au cours de leurs gardes à vue, les 13 défenseurs ont été transférés séparément dans des lieux inconnus, et privés de moyens de communication avec leurs proches ou avocats. Ils ont été
interrogés en pleine nuit, privés de sommeil, daccès aux sanitaires, aux douches ainsi quà un médecin. Selon les informations reçues, MM. Abdallahi Matallah Seck, Balla Touré, Khatri Mbareck, Jemal Samba Beylil et Moussa Biram ont été victimes d’actes de torture. Pieds et
mains liés dans des positions douloureuses pendant des heures, suspendus par des cordes, les menottes beaucoup trop serrées, ils ont été interrogés au sujet de la planification et de leur participation supposée aux événements du 29 juin. De même, M. Amadou Tidjane Diop a été déshabillé, insulté, menacé de mort au cours de son interrogatoire et sest vu forcé de manger certains repas agrémentés de sable sans pouvoir shydrater.

En outre, M. Amadou Tidjane Diop a été privé daccès aux soins médicaux nécessaires, et ce malgré une pathologie cardiaque connue pour laquelle il possède une prescription médicale ainsi que des
bulletins de consultation de cardiologie. Ce nest quaprès sa garde à vue quil a pu se rendre à l’hôpital, mais les analyses prescrites n’ont toujours pas été réalisées.

Les commissaires principaux El-Hadi et Ahmed Baba Ahmed Youra, linspecteur de police Hassane Samba, les officiers de police Alioune Hassane et Lemrabott, le brigadier chef Didi ainsi que les brigadiers Ould Amar et Oumar Ndiaye auraient participé, avec dautres personnes non identifiées, aux actes de torture et aux mauvais traitements susmentionnés. En outre, M. Boubacar Ould Messaoud, membre du Mécanisme national de prévention (MNP), président de lassociation SOS-esclaves et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, sest vu refuser une visite en prison en dépit dune demande officielle. Les demandes formulées par les avocats des 13 défenseurs afin de faire expertiser les traces visibles des sévices ont par ailleurs été
refusées.

Le 12 juillet, le procureur Cheikh Taleb Bouya Ahmed a ouvert une enquête de flagrance, et a inculpé les 13 défenseurs pour _«attroupement armé », « violences à légard dagents de la force
publique », « rébellion » et « appartenance à une organisation non enregistrée ».

Le procès s’est ouvert le 3 août 2016 devant la Cour criminelle de Nouakchott ouest. Le 9 août, les prévenus ont refusé de comparaître devant la Cour, après que la police a fait usage dune force disproportionnée afin d’interdire à leurs familles et collègues d’assister à laudience. Le lendemain, le président de la Cour les a finalement autorisés à prendre place dans la salle daudience, mais a décidé de placer les prévenus dans une salle adjacente fermée et de
les faire comparaître les uns après les autres devant la Cour. Face aux contestations, le président est ensuite revenu sur sa décision. En outre, les avocats de la défense nont pas eu le droit, comme il est du sage, de prendre la parole depuis l’estrade ou de s’approcher du
président de la Cour. Ils ont également été insultés et humiliés publiquement par un officier de police au cours de l’audience du 10 août.

Le 16 août, la Cour a rejeté la plainte pour torture de M. Moussa Biram, ne s’estimant pas compétente pour juger l’affaire, même si la Loi n° 049-15 sur la torture oblige les juridictions nationales à se prononcer immédiatement sur toute plainte pour actes de tortures et ainsi invalider les preuves tirées de l’usage de la torture. De plus, elle a autorisé la diffusion dune vidéo à charge présentée par le procureur alors que ceci est proscrit par l’article 278 du Code de procédure pénale [5] [5]. Le collectif d’avocats qui assurait la défense des 13 accusés a décidé de se retirer de l’audience afin de protester contre ces violations de procédure. Les détenus ont refusé les nouveaux avocats commis d’office.

Le 18 août 2016, MM. Moussa Biram, Adballahi Abou Diop, Amadou Tidjane Diop, et Adballahi Matallah Seck, président du bureau de Sebkha, ont été condamnés par la Cour criminelle de Nouakchott ouest à une peine de 15 ans d’emprisonnement pour « attroupement armé » (article 101 à 105 du Code pénal), « violences à légard dagents de la force publique » (articles 213 et 214 du Code pénal), « rébellion » (article 191 du Code pénal) et « appartenance à une organisation non enregistrée » (articles 3 et 8 de la Loi de 1964 sur les associations).

Le même jour, MM. Hamady Lehbouss et Balla Touré, ont quant à eux été condamnés à une peine de cinq ans de prison pour « provocation directe à un attroupement armé » (article 104 paragraphe 2 du Code pénal) et « administration dune organisation non autorisée » (article 8 de la Loi de 1964 sur les associations).

Par ailleurs, MM. Ousmane Anne, Jemal Samba Beylil, Mohamed Daty, Ahmed Mohamed Jarroullah et Ousmane Loainsi queKhatri Rahel Mbareck, et Ahmed Hamdy Hamar Vall, ont été condamnés à trois ans de prison pour «gestion dune organisationnon enregistrée » (article 8 de la Loi de
1964 sur les associations).

Le 22 août 2016, le collectif davocats des 13 membres de l’IRA-Mauritanie a interjeté appel de ces condamnations.

ACTIONS REQUISES :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités mauritaniennes en leur demandant de :

i. Garantir en toute circonstance l’intégrité physique et psychologique des 14 membres de l’IRA-Mauritanie sus-mentionnés ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de lHomme en Mauritanie, et notamment garantir à MM. Amadou Tidjane Diop, Abdallahi Matallah Seck, Balla Touré, Khatri Mbareck, Jemal Samba Beylil, Hamdy Hamar Vall et Moussa Biram l’accès aux soins médicaux nécessaires ;

ii. Libérer immédiatement et inconditionnellement les 13 membres de l’IRA-Mauritanie sus-mentionnés, en ce que leur détention ne semble viser quà sanctionner leurs activités de défense des droits de l’Homme;

iii. S’assurer que l’ensemble des procédures engagées à leur encontre sont conduites dans le respect du droit à un procès équitable ;

iv. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris judiciaire, à leur encontre et, plus généralement, à l’encontre de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme en Mauritanie ;

v. Mener une enquête immédiate, indépendante et efficace et transparente sur les allégations de torture et de mauvais traitement subis par les défenseurs susmentionnés, afin d’identifier tous les coupables et de les sanctionner conformément à la loi ;

vi. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement ses articles 1, 9.1 et 12.3 ;

vii. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la Mauritanie.

ADRESSES :

* S.E M. Mohamed Ould Abdel Aziz, Président de la République
Islamique de Mauritanie, Fax : 00 222 525 85 52
* M. Ahmedou Ould Abdalla, Ministre de l’Intérieur et de la
Décentralisation de la République Islamique de Mauritanie, Fax : + 222
529 09 89; Email : mmelhadi@interieur.gov.mr [6]; leminesidi@yahoo.fr
[7]
* M. Brahim Ould Daddah, Ministre de la Justice de la République
Islamique de Mauritanie, Fax : 00 222 525 70 02
* Me Irabiha Mint Adbel Weddoud, Présidente de la Commission nationale
des droits de l’Homme, Email : presidente@cndhmauritanie.mr [8]
* S.E. Ambassadeur Mme Salka Mint Bilal Yamar, Mission permanente de la
Mauritanie auprès de l’Office des Nations unies à Genève, Suisse. Fax
: +41 22 906 18 41. Email : mission.mauritania@ties.itu.int [9]
* Ambassade de la Mauritanie à Bruxelles, Belgique, Fax : +32 2 672 20
51, Email : info@amb-mauritania.be [10]

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de
Mauritanie dans vos pays respectifs.

***
Paris-Genève, le 11 octobre 2016

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions
entreprises en indiquant le code de cet appel.

_L__’__Observatoire,__ partenariat__ de la FIDH et de lOMCT, __a__
vocation__ à__ protéger__ les__ défenseurs__ des__ droits__ de__ l_
_’__Homme__ victimes __de__ violations__ et __à__ leur __apporter_ _
une__ aide__ aussi__ concrète__ que __possible.__ La FIDH et l’OMCT
sont membres de __ ProtectDefenders.eu_ [11]_, le mécanisme de lUnion
européenne pour les défenseurs des droits de lHomme mis en œuvre par
la société civile internationale._

Pour contacter l’Observatoire, appeler La Ligne d’Urgence:
· E-mail:Appeals[at]fidh-omct.org
· Tel et fax FIDH: +33 143552518 / +33 143551880
· Tel et fax OMCT: +41 228094939 / +41 228094929

————————-

[1] [12] L’IRA-Mauritanie est une ONG créée en 2008 travaillant
auprès des populations victimes de lesclavage et du racisme.

[2] [13] Les 13 membres sont: MM. MOUSSA BIRAM, vice-président du
bureau de Sbeka, ADBALLAHI ABOU DIOP, membre du bureau de Riadh, AMADOU
TIDJANE DIOP, vice-président national de lIRA, ADBALLAHI MATALLAH SECK,
président du bureau de Sebkha, HAMADY LEHBOUSS, conseiller du
président et chargé de la communication au niveau national, BALLA
TOUR, chargé des relations extérieures du bureau national,OUSMANE
ANNE, président du bureau de Tevragh Zeina, JEMAL SAMBA BEYLIL, membre
du bureau de Riadh, MOHAMED DATY, secrétaire général de la
coordination de Nouakchott, AHMED MOHAMED JARROULLAH, OUSMANE LO, tous
deux membres du bureau exécutif, ainsi que KHATRI RAHEL MBARECK,
coordinateur du comité de la paix au niveau national, et AHMED HAMDY
HAMAR VALL, trésorier national.

[3] [14] La prisonde Bir-Moghrein, surnommée par les mauritaniens le
« Guantanamo mauritanien », est située dans lextrême Nord du pays en
plein désert du Sahara. Cette prison, de par ses conditions d’accès
difficiles, est hors de portée de l’attention publique que peuvent
exercer les médias, ONG et diplomaties extérieurs. De nombreux
trafiquants de drogue et djihadistes y sont détenus.

[4] [15] Une voiture des forces de sécurité a été brûlée,
certains manifestants et personnels des forces de sécurité ont été
blessés et des véhicules privés endommagés.

[5] [16] Larticle 278 du Code de procédure pénale «_ interdit lusage
de tout moyen denregistrement de quelque nature que ce soit à laudience
»._
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