Détenus d’IRA de la prison d’Aleg : Que n’auraient-ils donné pour être à Sainte-Pélagie !!!

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L’Authentique «Au 19ème siècle, la prison Sainte-Pélagie représentait pour de nombreux intellectuels français l’un des établissements parisiens où l’on ripaillait autant que l’on débattait politique. Alexandre Dumas eut ce mot à propos de cette prison: «Elle finit par ressembler, en mieux, à un quelconque bottin mondain.»

La liste des personnalités qui sont passées par cet établissement hors norme est en effet impressionnante. Louis Arago, Gustave Courbet, Raspail, Blanqui, Proudhon, Jules Vallès

Bon nombre d’intellectuels du 19e siècle, dont le seul tort était de ne pas être d’accord avec les monarques et les puissants. Ancien refuge pour filles repenties, Sainte-Pélagie se trouvait sur le site actuel de la Grande Mosquée de Paris, dans le Ve arrondissement. Elle fut transformée en prison en 1792 et détruite en 1898.

Le temps d’un siècle tourmenté, elle accueillit les délits politiques et de presse, deux synonymes pour l’époque. Quand Victor Hugo dirige officieusement le journal l’Evénement, Proudhon est à la tête du Représentant du peuple. Et Jules Vallès écope de trois mois de prison pour un article sur la police, paru dans le Globe en 1868 (Extrait article Libération 22 août 2011).

La prison d’Aleg en Mauritanie est née deux siècles plus tard, dans un monde où la liberté de presse, la liberté d’expression, d’association et de manifester sont devenus des droits universels, mais souvent massacrés par des monarques qui n’ont rien à envier à leurs devanciers du Moyen-âge. Cette prison a été construite en 2009 et a coûté la bagatelle de 4 Milliards d’UM au Trésor public.

Elle est citée comme l’une des plus grandioses réalisations du président Mohamed Ould Abdel Aziz. Elle a été conçue au départ, selon le vœu de son auguste concepteur, pour jouer le rôle de pénitencier pour «Moufçidines», cette faune de criquets-argent qu’il fallait décourager contre l’effeuillage des sous de la République. Mais au lieu des «voleurs à col blanc», ce sont des prisonniers de droit commun, puis des détenus d’opinion qui furent accueillis à la prison d’Aleg.

En 2013, dix-sept détenus ont dû être transférés à Nouakchott suite à une visite du Comité international de la croix rouge (CICR), laquelle a aujourd’hui de bonnes raisons d’y retourner. La prison se révèlera en effet être un véritable Mont du Supplice. Un détenu y était mort à cause des conditions exécrables, dans une des régions les plus chaudes de la Mauritanie. La prison est en effet connue pour son absence d’aération et ses coupures incessantes d’électricité.

La prison d’Aleg est en passe de devenir le repaire des contestataires de l’ordre social, tous ces antiesclavagistes et bonimenteurs endimanchés en rupture de banc «Azizéen», là où Sainte Pélagie recevait les républicains et tous les irréductibles de l’ordre établi. On partait à Sainte Pélagie pour une caricature, comme ce fut le sort du dessinateur Philipon qui y séjourna six mois pour quatre dessins du roi Louis Philipe, représenté en poire. A Aleg, on y va pour moins que rien. Il suffit de se pavaner près des Fazendas du Chef de la dynastie régnante et dénoncer l’esclavage foncier. Trois leaders antiesclavagistes y croupissent pour n’avoir pas mesuré l’audace de leur démarche.

Dans «Libération», Bruno Icher, auteur de l’article «Sainte-Pélagie, l’affranchi», nous renseigne ainsi qu’au 19ème siècle, «le temps passé à Sainte Pélagie était un confort pour tous les ennemis du pouvoir. Ils y bénéficiaient de traitement de faveur, pouvaient même disposer d’un domestique et sortir quatre fois par mois s’ils le souhaitaient».

Par contre à Aleg, les détenus se trouvent dans le Golgotha, à Auschwitz. Ils n’ont pas la belle vie, comme les débatteurs du 19ème siècle français à la prison Sainte Pélagie. Ce lieu-là fut un joyeux casino. La circulation était libre et nul régime d’isolement. A Aleg, trois défenseurs de droits de l’Homme sont coupés du reste du monde et même, de leurs autres camarades de supplice. A Sainte Pélagie, il y a deux cent ans, les familles et amis y étaient reçus à tout moment. Les détenus y donnaient des fêtes, recevaient à dîner des invités de l’extérieur.

En 1833, il y fut même organisé un récital piano et harpe. A Aleg, les détenus mis en quarantaine de bagne, n’ont même plus le droit d’accueillir leurs épouses. Leïla Mint Ahmed, épouse de Birame Dah Abeid, vient de recevoir une fin de non visite auprès du Procureur d’Aleg, pour une entrevue qu’elle souhaitait avoir avec son mari. Un mauvais signe qui augure, selon elle, d’un plan diabolique que le régime en place chercherait à ourdir contre l’un de ses plus virulents détracteurs, face au silence du monde. Des instructions de là-haut l’obligeraient à confiner ses trois détenus d’opinion dans l’isoloir, selon le représentant du Parquet.

La punition infligée ainsi à deux Hartanis et à un Kowri ressemble fort bien à une ancienne punition réservée aux «esclaves rebelles». Elle était destinée à briser leur volonté et à les réintégrer de force dans l’enclos de la soumission. Qu’elle est lointaine, la prison Sainte-Pélagie ! Là où Pierre Joseph Proudhon célébra son mariage avec mademoiselle Euphrasie Piégard, et où les détenus politiques et d’opinion pouvaient continuer leurs petites affaires à l’extérieur comme si de rien n’était.

C’est entre ses quatre murs que Jules Vallès créera une gazette éphémère. Ce «Journal de Sainte-Pélagie» eut deux numéros, et fut signé par tous les détenus qui y avaient élu Vallès comme rédacteur en chef.

A Aleg, les détenus d’opinion n’ont même pas le loisir d’observer un rayon de soleil ni de se languir devant un ciel étoilé une nuit de pleine lune. Leur univers carcéral est limité par quatre lugubres murs, enterrés vivants dans un tombeau à ciel fermé. Leur unique tort fut pourtant d’avoir dit seulement «Non à l’esclavage foncier».

Qu’elle est obscure, inculte, bagneuse, lugubre, la prison d’Aleg ! Sainte-Pélagie elle, était un temple d’idées où les débats politiques rythmaient la journée autant que les repas. Ici, les légitimistes affrontaient les républicains dans des joutes oratoires mémorables, chacun se promenant affublé du signe distinctif de son clan, un bonnet vert pour les légitimistes et un bonnet rouge pour les républicains. Les couloirs de la prison étaient rebaptisés par les prisonniers eux-mêmes, «jacobin» ou encore «basiléophages» (mangeurs de roi). Dans une des salles, les républicains avaient gravé une «table des droits de l’homme», autour de laquelle, ils discutaient à bâtons rompus.

Sur la prison Sainte-Pélagie, Jules Vallès avait écrit «on était libre de tout dire après avoir été condamné pour n’avoir rien dit». A Aleg, les détenus d’opinion qui y croupissent aux termes d’une parodie de justice, pourront eux-aussi crier : «on nous a laissé battre campagne présidentielle pour des slogans pour lesquels nous sommes aujourd’hui en prison !».

Cheikh Aïdara

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