Problème foncier en Mauritanie : Défi majeur de l’unité nationale
Eveil Hebdo – Depuis quelques jours, Biram Dah Ould Abeïd, président de l’IRA et une partie de ses militants sont en prison suite à leur arrestation consécutive à une marche organisée par le mouvement pour dénoncer ce qu’il appelle «l’esclavage foncier».
Un nouveau concept pour le leader de l’IRA qui, selon ses détracteurs, chercherait toujours un créneau novateur pour mobiliser ses soutiens au plan international, mais qui remet au goût du jour une vielle problématique qui n’a jamais trouvé de solution définitive, ni en Mauritanie, ni dans la plupart des autres pays du tiers-monde.
En effet, la plupart des conflits se déroulant dans les pays du Sud, et plus particulièrement en Afrique, possèdent une forte dimension agraire et foncière, qui est souvent sous-estimée. Le contrôle de la terre et de l’accès aux ressources naturelles suscitent en effet des formes de concurrence, de tensions et des violences, impliquant plusieurs types d’acteurs.
Ces conflits peuvent concerner des individus, des familles, ou des communautés différentes et cristalliser autour des droits d’usages, de l’accès à la terre, ou encore du bornage des parcelles de terrain. Des groupes ethnico-professionnels peuvent également être impliqués dans des conflits portant sur la terre, c’est le cas notamment des conflits entre agriculteurs et éleveurs, ou entre populations autochtones et «étrangers» lorsque la pression sur le foncier devient trop forte.
Les enjeux en cause dans les conflits sont de nature multiple : appropriation des terres, défense et reconnaissance des droits, accès à des ressources stratégiques, etc. Les conflits se focalisant autour du foncier peuvent également avoir une dimension historique et politique, notamment en cas de différends entre groupes socio-ethniques et d’instrumentalisation par les pouvoirs politiques.
De nouveaux conflits se sont également accentués ces dernières années à travers des situations d’appropriation et de concentration des terres à grande échelle, communément appelées «accaparement des terres». La thèse dominante chez les politiques et les institutions financières internationales qui les influencent, consiste à dire que la raison principale qui fait de la question foncière un déclencheur ou un facteur de conflit vient de l’inexistence ou de l’insuffisance d’un cadre légal formel et effectif, qui clarifie et sécurise les droits existants.
Selon cette thèse, un tel cadre légal nécessiterait la mise en œuvre d’une législation foncière fondée sur l’enregistrement de titres de propriété privés. Seul un tel cadre légal correctement formalisé serait en mesure de pacifier les relations sociales autour de la terre en substituant à la violence, la paix du marché et à la politisation de la question foncière, la légitimité de la loi. Pourtant, la solution des problèmes fonciers par le titre de propriété privée n’est pas toujours possible à mettre en œuvre et son efficacité est loin d’être prouvée. Au contraire, une politique de certification et de privatisation des droits coutumiers peut être elle-même source de conflits.
Problème foncier en Mauritanie : Défi majeur de l’unité nationale
Le problème foncier en Mauritanie est l’un des défis majeurs de l’unité nationale; et le résoudre de façon juste et équitable est un important facteur de cohésion sociale. Pendant la colonisation, donc sous occupation étrangère, le colon n’a jamais eu une réelle emprise sur le foncier. Soit par ignorance de la complexe réalité du terrain, soit, de façon tacite, pour occuper les terres dont il est devenu maitre. Il a simplement supposé qu’il y’avait «un vide juridique» qu’il fallait combler à coup de décrets et de lois.
Ainsi, le 02 août 1960, soit 3 mois avant l’accession à l’indépendance, la loi 60-139 confirmait en fait les droits coutumiers conformément aux intérêts de la classe dirigeante de l’époque qui était majoritaire à l’assemblée nationale. Cette loi a été largement critiquée car elle verrouillait l’accès à la terre à des citoyens de «seconde catégorie» (les castés et les esclaves principalement). Ce qui était incompatible avec l’esprit républicain.
L’ordonnance 83_127 du 5 juin 1983 offrait à tout citoyen «en se conformant à la loi» la possibilité de devenir propriétaire. Cela a été vécu au début comme une révolution car elle est d’essence bourgeoise et démocratique. Deux ans auparavant, la Mauritanie venait « d’abolir » l’esclavage. Cette loi va, au fil des ans, montrer ses limites, en ce sens qu’elle a permis aux représentants de l’Administration tous les excès et abus en matière d’attribution des terres.
Ainsi, à titre d’illustration, en 2010, les populations de Boghé apprennent par un simple avis au public préfectoral que 40 000 hectares de leurs terres vont être «mis à disposition» d’une entreprise saoudienne. Toute la population de la Moughataa s’était alors fortement mobilisée pour manifester et marquer ainsi son opposition à toute forme de dépossession non concertée de leur unique source de vie, la terre. Malgré leurs actions, les communautés n’ont obtenu aucune information précise sur le projet et les impacts qu’il aura sur leurs vies. Tout juste sait-on que la firme saoudienne impliquée, l’entreprise TADCO (Tabouk Eziraiya) appartient aux Al Rajhi, une famille d’hommes d’affaires saoudiens dont la fortune se compte en milliards de dollars.
C’est ce genre de situation justement qui donne raison aux mouvements les plus radicaux de dénoncer cette reforme agraire comme «la consécration sur le plan juridique de la volonté du pouvoir mauritanien d’asseoir davantage sa main mise sur tous les secteurs de la vie économique du pays».
«Esclavage foncier» ou « esclavage moderne» tout simplement ?
Aujourd’hui, force est de reconnaitre que ce que Biram appelle «esclavage foncier», ne se limite pas justement au seul «foncier». A en croire son raisonnement, les travailleurs qui sont employés dans les usines sans en posséder seraient eux aussi des «esclaves industriels», tout comme les travailleurs de mines seraient des «esclaves miniers».
Ne serait-il pas alors plus raisonnable de dénoncer toutes les formes d’exploitation à quelque niveau que ce soit et qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler «esclavage moderne» ? Ce qu’il faudrait donc réclamer, c’est un traitement juste et équitable pour tous les travailleurs de la terre. Dans ce domaine, le système traditionnel comportait d’indéniables avantages, notamment sur le plan humain.
La terre qui était généralement louée, était celle du Walo, en contrepartie du versement de la moitié de la récolte: c’est le « REM-PECCEN». Si la location porte sur plusieurs années, le loyer peut-être payé en une seule fois. Pour les terres les moins inondées, le loyer correspond au 1/10 de la récolte.
En outre, dans une société en équilibre stationnaire le droit traditionnel anti individualiste visait avant tout à assurer la sécurité du groupe ou du moins la «sécurité de l’individu dans le groupe». Le chef du lignage ou du village «en attribuant des parcelles à chaque famille et en tenant compte de la proportion de bouches à nourrir et d’individus susceptibles de mettre en valeur le sol, évitait à la fois l’accaparement du sol et sa sous utilisation». Le système comportait en outre un avantage d’ordre écologique, en raison notamment de la pratique de la culture itinérante.
A côté de ces avantages, le régime coutumier comportait cependant de nombreux inconvénients: il était profondément inéquitable et était, par certains de ses aspects, un obstacle au développement économique et social. C’est ainsi que les femmes disposaient en général de droits très inférieurs à ceux reconnus aux hommes. Dans le Fuuta, elles n’ont pas le droit d’hériter des terres des collectivités villageoises.
Seul leur est reconnu le droit de prélever sur les récoltes une certaine quantité destinée à leur subsistance. Une autre iniquité résidait dans le paiement de certaines redevances, notamment dans la différenciation qui était faite entre le «Jom Jeyngol» qui est un membre de la communauté et le «Sammba remooru» qui est étranger. Alors que pour le premier l’Asakal était dû par famille, l’étranger lui, devait le payer par loungan et par tête.
Mais l’injustice la plus remarquable tenait au fait que les terres appartenaient en grande partie aux grandes familles nobles (Rimbe). Et un «Gallunke» (d’origine esclave), par exemple, aura beau cultiver une terre pendant des années, il n’en sera pas pour autant propriétaire, la prescription acquisitive n’existant pas en droit traditionnel. Le Sud partageait ces traditions avec le pays le nord. A cet égard Capot Rey écrivait : «un hartani prenait-il l’initiative de défricher un coin de terre jusque là sans maître, le terrain une fois mis en valeur pouvait être revendiqué par un marabout ou un guerrier en vertu de la coutume “trab-el-beydane” qui leur reconnait un droit implicite sur toutes les terres sans maître».
Bien que la loi foncière de 1983 se proposait donc de mettre un terme aux archaïsmes du système traditionnel de tenure des terres et de mettre en place un cadre juridique mieux adapté aux nécessités du développement, certains mouvements politiques y avaient décelé très tôt d’autres objectifs, notamment «procurer aux hommes d’Affaires une nouvelle source d’enrichissement» et «susciter des contradictions au sein de la communauté noire du pays en orientant les revendications économiques et sociales des Haratines, par ailleurs légitimes, vers les terres du waalo».
Si on se réfère donc à ce qui s’est passé à Boghé, avec les hommes d’affaires saoudiens et au nouveau cheval de bataille de Biram concernant ce qu’il appelle «esclavage foncier», on doit reconnaitre que les faits sont train de donner raison à tous les sceptiques de la reforme foncière.
Sikhousso