Caravane contre l’esclavage foncier et la spoliation des terres : Répression tous azimuts
Le Calame – Le problème de l’accaparement des terres se pose avec acuité dans tout le continent africain et le Sud mauritanien n’est évidemment pas épargné. A la recherche de terres fertiles, des multinationales de l’agrobusiness investissent de nombreux pays. Un enjeu de taille mondiale.
En Mauritanie et au Sénégal, de part et d’autre de la vallée du fleuve Sénégal, les populations, soutenues par diverses organisations de défense des droits de l’Homme et autres ONGs, se mobilisent fortement, manifestent et marquent ainsi leur opposition à toute forme de dépossession dictatoriale de leur unique source de vie, la terre.
Que deviendra cette frange de la population si toutes les terres cultivables et tous les espaces pastoraux leur sont arrachés ? », déclarait, il y a quelques mois N’Diaye Saïdou Yéro, secrétaire général de la coordination départementale de Bababé du Comité de suivi du foncier.
C’est pour sensibiliser l’opinion nationale et internationale sur le sort de ces dizaines de milliers de personnes qui risquent d’être privées de leurs moyens de subsistance que neuf organisations de la société civile (1) ont organisé la Caravane contre l’esclavage foncier et la spoliation des terres.
Celle-ci s’est achevée, le mardi 11 novembre, à un kilomètre de Rosso par une violente répression, suivie de l’arrestation des organisateurs et des militants. Le wali du Trarza, Isselmou Ould Sidi, qui fut chef d’arrondissement de Jidr El Mohguen en 1989, avait décidé, la veille, d’interdire toute manifestation de la caravane dans le Trarza.
Dans une correspondance (001844WT) remise, aux organisateurs, à Thièmbène, où se tenait un grand rassemblement des agriculteurs expropriés, l’autorité régionale leur signifiait l’interdiction « de poursuivre cette caravane dans les limites territoriales de la wilaya ».
Isselmou Ould Sidi arguait de ce que ladite caravane « ne respectait pas les conditions requises pour son organisation » et menaçait de sévir : « tout manquement à cette décision administrative peut entraîner des sanctions à l’encontre des contrevenants ».
Violente répression, coordonnée de Rosso à Nouakchott
La caravane poursuit cependant tranquillement sa route vers Rgeïwatt. Le préfet vient alors à sa rencontre et accuse ses responsables de « faire la promotion du racisme » et d’en appeler au « spectre des événements de 1989 ». Il assène : « Votre caravane est raciste et divise les Mauritaniens.
Vous n’avez pas respecté les termes de votre lettre d’information ». A la suite du préfet, Biram exhorte les caravaniers à « se plier aux ordres des autorités et de s’en tenir aux slogans pacifistes qui ont prévalu tout au long du chemin.
Nous allons continuer », dit-il, « à combattre le racisme, l’esclavage foncier et la spoliation des terres ». Pressés par les huées des caravaniers qui l’entourent, le préfet affolé donne « trente ans » – il voulait dire trente minutes – aux marcheurs pour se disperser.
A peine s’éloigne-t-il qu’une pluie de grenades lacrymogènes et de matraques s’abat sur la caravane. La réponse du préfet est claire : il n’est plus question que les caravaniers marchent jusqu’à la wilaya, comme ils le lui demandaient, et lui remettent solennement une lettre ouverte, dénonçant les expropriations foncières, adressée au chef de l’Etat.
Lorsque les forces de l’ordre chargent, Biram exhorte les caravaniers de « ne pas répliquer, garder leurs mains au cou, prêts à donner, en martyrs, leur vie au noble combat ». Et le leader abolitionniste de s’exécuter en ce sens, suivi de Brahim Bilal et de Djiby Sow.
Ils seront arrêtés tous les trois, sans résistance, et emmenés à la compagnie de la gendarmerie de Rosso. Trois personnes – Mariam mint Ahmed, Fatis mint Cheikhna et son époux, Mohamed Allouche – s’évanouissent sous les lacrymogènes, les ambulanciers les évacuent.
Interpellées, elles seront relâchées par la gendarmerie. Après quelques jours en garde à vue, Biram Dah Abeïd et plusieurs de ses compagnons (2) ont été mis sous mandat de dépôt, à la prison civile de Rosso.
Djiby Sow, président de Kawtal N’gam Yellitaaré et Dah Ould Boushab, président de la section IRA d’Arafat ont été libérés mais ils devront s’acquitter chacun d’une amende de 20 000 ouguiyas et doivent se présenter, chaque mardi, à la brigade de gendarmerie de Rosso.
Lors de leur audition devant le procureur, les détenus ont confirmé « qu’ils ont été torturés et subi toutes sortes d’humiliations et traitement dégradants ». Brahim Bilal Ramdhane et Khattri Rahel, souffrants, ont réclamé un examen médical mais leur requête a été rejetée par les autorités.
A Nouakchott, le siège d’IRA situé à l’ilôt L a été encerclé puis fermé par les forces de l’ordre, un peu avant le déclenchement de la répression à Rosso. Cette coïncidence paraît la preuve d’un plan concerté des autorités visant à « décapiter » l’organisation abolitionniste. De fait, l’arrestation de Biram a mis le feu aux poudres.
Dans la capitale, des manifestations spontanées de protestation, réclamant sa libération, ont été tout aussi violemment réprimées par les forces de l’ordre qui ont également interpelé son conseiller et porte-parole, le docteur Saad ould Louleïd et sa secrétaire particulière, Mariem mint Cheikh Dieng.
Sur la même lancée, les forces de l’ordre ont procédé, dimanche 16 novembre, à plusieurs arrestations, lors d’une marche organisée par les militants d’IRA-Mauritanie exigeant la libération des détenus de Rosso et de Nouakchott. Parmi les personnes appréhendées, on peut citer mademoiselle Dida Ahmed Hady; Brahim Aghari; Hassane Moctar et Cheikhna Mahmoud, tous membres d’IRA-Mauritanie.
Selon le mouvement abolitionniste, plusieurs autres militants ont été interpelés après la dispersion de la marche. A Rosso, deux membres d’IRA, Chedad Mohamed et Mohamed Vadoua, arrêtés lors d’un sit-in qu’ils ont organisé au lendemain de l’arrestation des responsables de la caravane, n’ont toujours pas été déférés au Parquet et sont maintenus au commissariat de police de Rosso.
La question foncière, véritable bombe à retardement en Mauritanie, n’en a pas moins refait surface, en grande force, et attire l’attention des citoyens.
Lors d’un meeting, en mars dernier, à Boghé, le président d’IRA-Mauritanie insistait déjà « sur la nécessité d’affranchir les populations paysannes de la vallée, des hommes d’affaires de l’agrobusiness et des féodalités arabo-berbères à qui l’Etat a, injustement, livré les terres des habitants noirs et harratines de la Vallée, avec un seul mobile : accentuer l’accaparement des biens terriens en Mauritanie par une minorité ethnique et ce, dans un seul but, criminel, de dominer les gens par des rapports économiques iniques et illégaux ».
Exigeant la redistribution des terres de la Vallée, Biram dénonçait les différentes expropriations qui « ont aiguisé la haine entre les populations, accentué les frustrations et mis en péril le développement agricole de la Vallée car le métayage a accentué l’appauvrissement et l’émigration des membres actifs des communautés autochtones, alors que ce sont celles-ci qui ont défriché et exploité ces terres, depuis la nuit des temps.
Nous dénonçons également l’octroi sélectif de l’argent du Crédit agricole, qui a suivi l’octroi, tout aussi sélectif, des permis d’occuper et d’aménagement des terres cultivables, en faveur d’une seule communauté », constatait-il.
Spoliations tous azimuts… jusqu’aux cimetières !
La caravane a sillonné une trentaine de villages du Brakna et du Trarza. Elle a permis de pointer un doigt accusateur sur le pouvoir, accusé d’orchestrer la spoliation des terres. Elle a également révélé la situation dramatique vécue par des milliers de paysans, de M’boulé à Wouro Aly Guélél, en passant par Bakaw, Lopel, N’Gorel et M’Bagnou.
La zone d’extension du casier-pilote de Boghé, qui s’étale sur deux mille huit cents hectares, vient d’être ainsi affectée à une entreprise marocaine – la STAM – suite à une convention de sept milliards d’ouguiyas signée avec la SNAT.
Les vives protestations des paysans ont été vaines. Après l’abattement des arbres, le bois mort fut vendu – bradé, contestent les riverains – à un commerçant : 600m3 à 120 000 UM soit 200 UM/m3, alors que le prix du moindre fagot, au marché de Boghé, est à 120 UM… Largement de quoi « étonner » les Boghéens, en effet.
Des ramasseurs de bois mort de Bakhaw qui se sont aventurés dans la zone ont été interpelés par la police, pour avoir « pillé le stock appartenant au commerçant ».
Rappelons que ce périmètre hydroagricole fut aménagé, dans les années 80, pour expérimenter la riziculture intensive. Tous les villages environnants furent littéralement étouffés par ce gigantesque projet dont les terres constituaient, jadis, des zones d’élevage à haute intensité pastorale » – elles contiennent, notamment, de nombreux puits et mares utilisés pour l’abreuvage du bétail – et des zones de culture pour les populations qui y produisaient, essentiellement, du mil, du maïs, du riz, des haricots et des pastèques.
« Nous vivons un douloureux problème dont l’issue est incertaine », déplore Amadou Malick M’bodj. « Notre horizon est totalement bouché ! », s’indigne Abdoulaye Malick Ba. Frémissant de colère contenue, le chef du village de Wouro Aly Guélélau tonne : « Nous n’en pouvons plus !
Nous sommes au bout du rouleau. L’Etat doit mettre fin aux agisements de certaines personnes qui viennent réclamer injustement nos terres ancestrales. Récemment, un maure est venu réclamer une maison bâtie. J’ai été emprisonné trois jours, pour m’être opposé à cette revendication illégitime. C’est une situation intenable ! ».
A M’boulé (Boghé), les caravaniers ont fait des découvertes macabres : des charniers de personnes exécutées, lors des années de plomb. Plusieurs fosses communes dispersées, ça et là, dans la forêt, non loin du fleuve. « De nombreux cadavres furent brûlés par les militaires et les gardes, à leur départ, afin d’effacer toute trace des exactions extrajudiciaires.
Par la grâce d’Allah, des ossements humains sont restés, comme cette fosse commune qui compte plus d’une cinquantaine de personnes », narrent les villageois qui ont peur, comble de malheur, de leur donner des sépultures décentes. A Donaye, ce sont des réalités plus techniques qui perturbent la relation aux défunts.
Fondé en 1880, ce village de l’arrondissement de Dar El Barka est en effet pris en étau par les aménagements agricoles de Hamdou Saleck qui a accaparé 720 hectares, depuis vingt-cinq ans, sans aucun document. Les habitants dépossédés de leurs champs et réduits dans leur espace vital sont outrés par ses agissements.
« Poussant le cynisme à l’extrême », se désole Amadou Moctar Wane, chef du village, « Hamdou Saleck a confisqué jusqu’à notre cimetière qui jouxte le projet, pour y faire passer ses tubes et canaux d’irrigation, quitte à déterrer les os de ceux qui y sont ensevelis, depuis la nuit des temps ».
Du coup, les populations sont parties enterrer leurs morts sur l’autre rive du fleuve, au Sénégal. « Nous ne pouvons plus supporter cet état de fait. Depuis mars dernier, alhamdou lillahi, il n’y a pas eu de décès. Mais sitôt que quelqu’un trépassera, nous allons l’enterrer dans notre cimetière. Désormais, nous inhumerons nos morts chez nous.
Advienne que pourra ! », prévient Wane qui ajoute, « avec les risques de la traversée, il est tout aussi insupportable de ne pouvoir ramasser du bois mort que du côté sénégalais. Nous sommes vraiment las de cette situation ».
« Diatar n’a plus que quarante mètres d’espace vital », renchérit Balla Touré, secrétaire aux relations extérieures d’IRA et par ailleurs coordinateur de la Caravane. « Au-delà, ce sont des périmètres privés souvent traités avec de pesticides, nuisant à la santé des villageois.
Ces derniers n’ont nulle part où faire paître leurs animaux. Dès qu’un animal sort, il se retrouve dans le champ de quelqu’un et son propriétaire est toujours obligé de couvrir les dégâts causés par la bête. Enfin, des milliers de paysans haratines sont sans terre à Lexeïba II ».
Et de citer le calvaire vécu à Rabi et Lexeïba où trois « grandes familles » accaparent toutes les terres, privant les autres communautés de toute possibilité d’accéder à la propriété du sol. Les populations de Dar El Barka Rab II, notamment celles d’Ewlad Masour et d’Ewlad Siyid, ont publiquement manifesté leur opposition, lors de l’arrivée de la caravane, à la vente de leurs terres par Yacoub ould Moussa ould Cheikh Sidiya, maire de Lexeïba II.
Quant aux rapatriés, ils sont loin de voir le bout du tunnel. Damnés de la terre, ils n’arrivent pas à récupérer la moindre parcelle de l’or vert qui leur appartenait pourtant, avant leur bannissement injuste du pays.
Rassemblement de tous les opprimés
« Oui ! », s’exclame Balla Touré. « Au-delà de la question foncière, il s’agit bel et bien des plus élémentaires droits attachés à la citoyenneté. Aucun général ne nous fera reculer […] dans notre lutte contre les discriminations ! Nous sommes prêts à devenir chair à canon et à remplir les prisons.
Nous ne verserons de l’eau sur personne […] mais la caravane marque le début de la libération de notre sol. Nous allons mettre sur pied une plateforme qui sera un cadre d’actions et de concertation pacifique, autour de la problématique de l’esclavage foncier et de la spoliation des terres […] ».
Les pouvoirs publics ont usé de la méthode forte, pour faire taire toute velléité de contestation des expropriations foncières qui atteignirent leur apogée, lors des années de braise. Biram et compagnie en paient aujourd’hui le prix, pour avoir osé dénoncer l’esclavage foncier et la spoliation des terres.
Mais une force est désormais en marche : elle réunit tous ceux qui souffrent, sans considération de leurs ethnies et de leur couleur de peau, même si l’on est bien obligé de constater que la très grande majorité d’entre sont noirs.
Il ne suffira donc pas de dire que tous les beïdanes ne sont pas responsables des agissements criminels de leurs dirigeants, il va falloir, au plus vite, démontrer, chacun, son appartenance au droit des gens et sa volonté de partage équitable. Il est grand temps.
Thiam Mamadou
Envoy spécial