Note d’information: Une famille réduite en esclavage au Gorgol
Un jour, Leghdaf part garder les troupeaux perdus ; il rencontre alors son maître, Ahmed Ould Ethmane, qui lui a demandé s’il a retrouvé les animaux ; il répond par la négative ; Ahmed commence par l’insulter et menacer : « vraiment, tu es un esclave et issu d’un esclave qui ne vaut absolument rien, sans âme ni conscience. » Ensuite, il répète, à haute voix, le vœu de la perte et de la mort de son Leghdaf et lui promet bien du mal à la place des troupeaux.
1/ Les protagonistes
La victime : Kroumaniya (50 ans) et ses cinq enfants (12 à 25 ans)
Les Maîtres : Ahl Ethmane (Zaghoura), tribu Kounta
Les esclaves se partagent, comme suit, entre les membres de la famille Ahl Ethmane :
-La mère de la famille esclave Kroumaniya et M’Bareck appartiennent à Saadna Ould Ethmane et sa mère Salma Mint Ahmed Vall ;
-Brahim appartient à Yahevdhou Ould Ethmane
-Beilil et sa sœur Sleileme appartiennent à Koureiss Ould Ethmane
-Leghdaf appartient à Ahmed Ould Ethmane
Ils sont détenus, par héritage, en ligne matrimoniale ; leur grand-mère maternelle appartenait à Ahl Ethmane et décédait entre leurs mains.
2/ Le déclenchement
Un jour, Leghdaf part garder les troupeaux perdus ; il rencontre alors son maître, Ahmed Ould Ethmane, qui lui a demandé s’il a retrouvé les animaux ; il répond par la négative ; Ahmed commence par l’insulter et menacer : « vraiment, tu es un esclave et issu d’un esclave qui ne vaut absolument rien, sans âme ni conscience. » Ensuite, il répète, à haute voix, le vœu de la perte et de la mort de son Leghdaf et lui promet bien du mal à la place des troupeaux. Ces incantations chargées de dissuasion, permettent aux maitres, issus de milieux maraboutiques, de soumettre leurs serviteurs par le risque d’un châtiment occulte.
Leghdhaf a compris, par ces menaces dures, que son maître allait facilement le tuer ; il s’est donc dirigé vers son frère Brahim, lui au service de Yehevdhou Ould Ethmane. Ainsi, a-t-il a passé avec lui la nuit et le lendemain, il est parti tôt et s’est réfugié, sur un flanc de montagne ; au passage d’un bus, il courut derrière, pour l’arrêter ; il y parvint couvert de sueur et visiblement épouvanté de son audace.
Arrivé en ville, en fin d’après-midi, les passagers du véhicule qui rapportaient des fagots dans la nature ont pensé conduire Leghdaf chez Alioune Ould Manza, ancien député de Kaédi ; à son tour, ce dernier l’emmène à la gendarmerie. Là, l’esclave à tout dévoilé, à commencer par lui-même et ses parents, laissés en servitude et soumis à diverses formes tortures. Les gendarmes l’ont conduit au Hakem ; ensemble, ils vont, en voitures, à Rweibina, pour y arriver après la dernière prière de la nuit.
Les maîtres, à l’approche des lumières de phares, se sont regroupés tous chez leur grand frère Koureiss. Les visiteurs lui ont demandé « Leghdaf vous a-t-il fui aujourd’hui ? Il répondit « oui ».
Pressé par les questions pertinentes de la délégation, le plus âgé des Ahl Ethmane a fini par dire que ses esclaves sont leurs frères « presque » car, depuis longtemps avec eux, comme déjà leur grand-mère. Mais, il reconnait leur non scolarisation.
Conséquences
Le lendemain, le convoi des gendarmes et du Hakem emmènent tous les esclaves à Kaédi sous la surveillance de Alioune Ould Manza, au quartier Kebbé, littéralement, « bidonville », « dépotoir » de la ville de Kaédi. Ils s’y trouvent, actuellement, dans une situation déplorable, à la fois ignorants, analphabètes et très pauvres.
Les traces des tortures sont visibles sur leur corps, comme l’ont constaté divers témoins. L’Etat les a abandonnés, à Kebbé sans rien, dans le dénuement et le désespoir. Leurs maîtres ne sont pas punis ni même sanctionnés ou blâmés pour ce fait inhumain.
La famille de serviteurs revendique ses droits, avec insistance. La mère est muette parce qu’un jour, partie garder les chèvres, elle n’avait plus d’eau ; au retour, très assoiffée et faute de mieux, elle a bu du beurre rance et est tombée vite malade ; elle perdit alors la parole et l’ouïe. Il est à rappeler que l’une de ses sœurs, un jour qu’elle s’occupait de l’installation des tentes et du nettoyage, a été mordue par un serpent et en décéda.
Les esclaves de Ahl Ethmane prétendent avoir un père dont ils ignorent le nom ; tous ont le teint clair comme leurs maîtres sauf Leghdaf et Sleileme, de peau noire.
Dans l’immédiat, le scandale, encore un, engage la responsabilité matérielle de l’Etat qui est tenu d’accorder, d’urgence, assistance économique et de santé aux victimes. De même, l’autorité administrative, qui laisse les coupables en liberté, devra rendre compte de tels gestes d’encouragements aux autres auteurs d’esclavage sur le territoire mauritanien.
Sidati Ould Demba, Secrétaire à la Communication
Kaédi le 10 mai 2010